Le pré à
côté de chez moi
Il était jadis peuplé
d’eucalyptus et plein de broussailles. Les eucalyptus, c’est joli et en
plus ça sent bon ; je les regardais de loin, de haut ; les eucalyptus
peuvent atteindre des dizaines de mètres ; je m’imaginais des tribus entières
de koalas amassés dans les branches et je humais l’air, pensant pouvoir sentir l’effluve
frais et délicieux délivré par leur essence.
Je
m’émerveilllais de la splendeur de ce
ces arbres qui ployaient sous les assauts des vents ; ici c’est le vent
d’autan qui souffle, un vent qui vient du sud et qui a la réputation de rendre
fou, mais j’étais désespérée par le manque d’attention prodiguée à leur
environnement.
Les ronces
faisaient concurrence aux buissons épineux; le chaos peuplait ce champ non
cultivé. Les arbres n’étaient pas taillés, ils ne s’en portaient pas plus mal
d’ailleurs, j’aimais le charme exotique de cette verdure plaisante.
Un jour, en
rentrant de vacances, nous avons retrouvé cet immense pré complètement calciné,
les arbres noircis, l’herbe totalement brûlée, un véritable spectacle de
désolation ; les flammes s’étaient arrêtées à quelques mètres de notre
maison, laissant prévoir un désastre rétrospectif évité de justesse.
Il ne restait plus que quelques
arbrisseaux épais qui avaient échappé au désastre. Trois casernes de pompiers
avaient été dépêchées, ce qui en disait long sur la dangerosité de l’événement.
Les flammes atteignaient vingt mètres de haut, avait-on lu plus tard dans le
journal.
Les eucalyptus avaient
pratiquement tous brûlé mis à part une dizaine de spécimens, mais les
broussailles, elles, étaient restées, toujours aussi vivantes et épineuses.
Le soleil
frappait fort à cette période de l’année, c’était manifestement dangereux, je
guettais alors la moindre étincelle, le moindre scintillement qui aurait pu
marquer le démarrage d’une nouvelle catastrophe incendiaire.
J’avais
peur de quitter la maison ;je revenais bien vite pour m’assurer que la maison
était toujours en place. La cuve à mazout est située de ce côté de l’habitation
ce qui m’incitait à être prudente.
Ce pré ne présentait plus
d’attrait à mes yeux, je m’en désintéressai autant qu’il m’avait fait rêver
autrefois.
Autour de moi, des maisons, du
grillage et des ronces, même plus une fleur, toutes piétinées par les assauts
du feu.
J’en pleurais d’amertume et de frustration. Là où
jadis mon imaginaire gambadait me faisant croire que je me trouvais en
Australie, la dévastation l’avait emporté laissant mon esprit en détresse et à
la dérive.
Ce pré demeura comme ça, dénué de
vie et d’intérêt pendant des années. Je ne le regardais même plus.
Un jour, j’aperçus une tache marron
qui se déplaçait au milieu. Vu que
l’herbe était haute et l’étendue vaste, il m’était impossible de distinguer
exactement ce que c’était.
Je m’approchai alors du grillage
rouillé qui jouxtait la maison, et cette tache devint plus distincte alors
qu’elle se mouvait dans diverses directions.
Je fus intriguée, et essayai de
mieux entrevoir, alors j’aperçus une seconde tache blanche qui s’approchait de
la première.
« Tiens, des
vaches ? » pensai-je immédiatement.
Comme nous avons un portillon qui
donne sur ce pré, puisqu’une longe de terre de l’autre côté du grillage nous
appartient, je l’ouvris et progressai délicatement à travers les hautes herbes,
enjambant les ronces et les rocailles. Alors que je m’acheminai, les taches se
précisèrent,…c’était des chevaux !
Deux
superbes chevaux, un de trait et l’autre aux jambes fines. Le cheval de trait
était paré d’une robe blanche peu entretenue et celui aux jambes fines avait
une robe pi brun foncé. J’avais toujours eu peur des chevaux, allez savoir
pourquoi.
La
splendeur de leur âme m’attira vers eux, ils en firent de même. De nulle part apparut
le fils du berger qui m’éructa un flot de paroles que je compris comme
m’interdisant de les approcher.
Allons
bon ! Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? C’est vrai, il ne m’adresse
la parole que pour me demander de l’aide, emmener son chien chez le vétérinaire
ou pour grommeler on ne sait quoi. A se demander s’il sait parler.
Il tenta dans son sabir de me
faire comprendre : « pas touche, elles sont à moi ! »
Je
n’avais pas l’intention de leur faire du mal, bien au contraire. Ah bon, ce
sont des femelles ?
Sur ce, je tournai les talons et
retournai chez moi par le même portillon qui m’avait servi à transgresser la
règle.
Quand il
eut disparu, je décidai de repasser le portillon, elles avaient compris que je
ne voulais que les regarder. Elles décidèrent de me rejoindre, j’en fus étonnée
car je n’avais aucune habitude de ces animaux, je ne savais comment m’y
prendre. Je commençai à claquer ma langue dans ma bouche comme je l’avais vu si
souvent faire par mes enfants lorsqu’ils montaient des poneys.
Elles
tendirent les oreilles avantageusement et progressèrent de plus en plus dans ma
direction sans empressement, sans peur non plus.
Je ne
remuai pas le moins du monde pour ne pas les effrayer. Cela sembla fonctionner
puisqu’elles parvinrent jusqu’à moi. Quant elles furent à quelques mètres de
moi, je tendis la main sans précipitation pour qu’elles me sentent et adoptent
toute liberté à mon égard. Ma fille m’avait expliqué qu’il fallait toujours
tendre la main pour que les chevaux puissent respirer notre odeur avant de
tenter autre chose.
Elles
respirèrent ma main ensemble, et tentèrent de saisir une hypothétique
nourriture avec leurs grosses lèvres, découvrant des dents énormes qui
m’auraient fait fuir auparavant. Je commençai à monter délicatement ma main sur
leur museau pour les caresser, elles ne cessèrent de lever le museau pour
essayer de happer de quoi manger.
Alors je repassai le portillon et
revins avec des morceaux de pain dur.
Je procédai comme précédemment,
j’avançai délicatement ma main droite, les laissai me sentir, puis leur
présentai leur gourmandise. De nouveau, leurs grosses babines m’impressionnèrent,
je sentis un chatouillement à l’intérieur de la main. Ça me fit rigoler.
Elles étaient belles mais mal
entretenues comme le pré dans lequel elles paissaient. Leur poil n’était jamais
brossé et les mouches s’en donnaient à cœur joie autour de leur corps torturé
par les piqûres des mouches plates. Magali m’avait expliqué que les mouches
plates piquaient les chevaux en les martyrisant, mais qu’on pouvait les enduire
d’un répulsif qui écartait les insectes.
Ceci dit, cela ne semblait pas
être une préoccupation du maître, qui cette fois-ci encore fit une apparition
fulgurante mais tacite. En effet, je suis peu impressionnable, ce genre
d’attitude n’a aucun impact sur moi.
Il dut s’en rendre compte car dès
le lendemain il était en train de poser du fil électrique autour du grillage,
je m’en inquiétai, alors il me hurla qu’il posait les fils pour ne pas qu’elles
endommagent mon grillage qui était bien rouillé et n’avait pas attendu la
présence de ces charmantes bêtes pour s’effondrer. Il était clair qu’il voulait
m’empêcher de les approcher. Pour quelle raison ? Peut-on trouver une
raison à la bêtise ?
Le
lendemain, mon fils, qui pratiquait le poney lui aussi, leur donna du pain dur,
le personnage en question passant près de là comme par hasard l’incendia.
Il revint quelques heures plus
tard pour s’excuser, mais je compris le pourquoi du comment quelques jours
après quand je le vis tenter de s’approcher de ses bêtes en beuglant alors
qu’elles s’en éloignaient.
En fait, lui qui était le
propriétaire ne savait pas s’en approcher, et il était jaloux que l’on pût y
parvenir.
Pourtant, autant mon fils était
habitué aux équidés, autant je ne l’étais pas et n’étais guère familiarisée
avec l’approche qu’il fallait avoir avec ces êtres qui à mon avis étaient dotés
d’une intelligence supérieure.
Je ne sais pas comment ni
pourquoi je les attirais, sans doute mon amour et mon respect inconditionnels
des animaux.
Il aurait dû être content que ses
voisins s’en satisfassent et s’entendissent si bien avec ce qu’ils auraient pu
considérer comme des intrus à côté de chez eux.
Les juments passaient tout leur
temps près du grillage car il y avait de l’ombre sous un arbrisseau, c’est du
moins l’explication que je me donnais. Alors je les approchais comme je
pouvais, entravée pour sûr par ce fil électrique malvenu, qui les empêchait
autant de me parler que moi de communiquer avec elles. Alors je décidai de les
rejoindre en me glissant sous le fil électrique.
Non, je n’avais pas peur d’être
électrocutée, de plus j’estimais que le jeu en valait la chandelle, alors que faire
du 12 volts dans le dos quand je pouvais caresser tendrement ces êtres venus
d’ailleurs ?
Je regardais avant chacune de ces
entreprises si le propriétaire n’était pas là, plus pour ne pas qu’il se venge
sur elles que par une réelle emprise qu’il aurait pu avoir sur mes émotions. Je
roulais dans l’herbe, salissant à chaque fois mes habits et elles approchaient
immédiatement, alors je me méfiais des sabots que je savais redoutables, et
bondissais systématiquement devant elles pour échapper à une éventuelle ruade.
D’une main, je leur distribuais
la friandise tant attendue, tandis que de l’autre je leur caressais les
museaux, geste affectueux auquel elles n’étaient pas vraiment accoutumées. Je
m’aventurais jusqu’à leur flanc, pour découvrir une peau frissonnante sous
l’effet de ma main bienveillante.
Depuis ces moments intimes je
n’eus plus de cesse qu’elles me murmurassent à l’oreille. C’est là que je
compris le titre du livre : « l’homme qui murmurait à l’oreille
des chevaux ».
En fait, ce n’est pas tant
l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux qu’un échange complaisant de
chacune des parties. Il est vrai que tout se passe à l’oreille, même si aucun
son n’est prononcé de part et d’autre.
Je n’aurai dorénavant plus peur
des chevaux. Les chevaux n’auront plus à me redouter.
…la superbe jument pi avait
disparu, il ne restait plus que la jument blanche, enfin si l’on peut dire
puisque sa robe n’était jamais nettoyée.
Elle devait se sentir bien seule
la pauvre. Je m’efforçai de lui rendre visite plus souvent pour lui éviter la
solitude. Chaque fois je procédai de la même façon, j’ouvrais le portillon qui
ne tenait plus que par un fil électrique tordu, je posais mes genoux dans
l’herbe, et je me couchais pour passer sous le fil, puis j’allais lui donner du
pain et la caresser, tentant de chasser les mouches qui ne cessaient de la
harceler, en particulier autour des yeux…
Je dus me faire hospitaliser,
Thierry vint me voir une fois avec son appareil photo; il me montra un
minuscule poulain à côté de la jument. Elle avait mis bas pendant mon absence.
Une immense émotion s’empara de moi. Comment ne pas craquer devant un bébé,
qu’il soit humain ou animal ?
Après mon séjour à l’hôpital, je
pus enfin découvrir la merveille dont elle avait accouché, c’était un étalon,
il avait une robe pi. Il suivait sa mère partout. Il la tétait. C’était
attendrissant !
Je les pris en photo une
multitude de fois.
Je tentai d’approcher le grillage
comme je le faisais auparavant, mais le poulain avait peur et sa mère le
rassurait. Je n’insistais pas, tendant quand même du pain dur à la mère pendant
que le petit s’abreuvait du lait nourricier.
Une fois, alors que la mère
grignotait le pain, le poulain s’aventura à respirer ma main, puis il avança
ses grosses lèvres et mordit dedans. Alors j’en profitai pour approcher l’autre
main de sa crinière soyeuse. Il ne
montra nulle crainte, alors je décidai d’aventurer ma main encore plus loin,
encore plus doucement, il se laissa faire. Je leur rendais visite
quotidiennement jusqu’au jour où je ne les ai plus vus, car terrassée par un
terrible accident, j’avais perdu momentanément l’usage d’une de mes jambes. Je
fus hospitalisée puis immobilisée sur un fauteuil, le fauteuil de la honte,
celui qui vous rappelle à chaque instant que vous ne pouvez pas remuer ne
serait-ce que la main sans déclencher tout un chapelet de douleurs dans la
jambe. Quant au moral, fixé par le destin au dossier de ce fauteuil, il tombait
inéluctablement au rythme des mouvements que je ne pouvais plus faire :
plus marcher, plus bouger le corps au risque de m’irradier toute mon enveloppe
corporelle qui devenait mon tortionnaire.
Pendant ce temps, mes compagnons
continuaient quotidiennement de s’approcher du grillage, je les apercevais
quand je parvenais à faire rouler mon fauteuil jusque sur la terrasse. Je
pleurais car je ne pouvais les caresser, une quinzaine de marches nous
séparant. Malgré tout, leur présence fidèle me réchauffait le cœur.
Pendant plus de deux mois j’ai été
confinée dans ma maison sans pouvoir sortir sans aide à cause de ces quinze marches à descendre et à remonter.
Plâtrée, puis immobilisée sous attelle, ma jambe ne pouvait que se laisser
balancer en l’air au gré des cannes anglaises ou du fauteuil. Impossible
d’aller dire bonjour à mes voisins.
Un après-midi, je m’étais
réveillée d’un sommeil profond accentué par une douleur intense à la jambe, et
j’ai entendu mon chien aboyer comme un
malade vers le pré, je savais qu’ils étaient là à m’attendre. Cette fois-là, libérée
de l’attelle mais souffrant abondamment, j’ai décidé de descendre les marches
dégelées en me cramponnant d’une main à la rampe et de l’autre à la canne, je
suis descendue en chaussons dans la boue,…ils étaient là immobiles, les yeux
rivés sur moi, pendant que mon chien s’excitait sur eux.
Lorsque je suis parvenue au
grillage, j’ai incliné mon corps pour pouvoir caresser leur museau et ils m’ont
parlé doucement, délicatement, m’encourageant.
J’ai alors sorti de ma poche deux gros morceaux de pain dur et
ai tendu un morceau à la mère, j’ai vu que le poulain tétait sa mère, c’était
merveilleux, grandiose. Quand il a été repu du lait maternel, il s’est avancé
vers moi et a croqué le morceau de pain que je lui ai tendu.
Ils ne m’avaient jamais oubliée malgré mes longues semaines
d’absence.
Ils ont touché mon cœur et mon corps tuméfié, je ne les avais
jamais laissé tomber, eux non plus.
Le pré à
côté de chez moi
Il était jadis peuplé
d’eucalyptus et plein de broussailles. Les eucalyptus, c’est joli et en
plus ça sent bon ; je les regardais de loin, de haut ; les eucalyptus
peuvent atteindre des dizaines de mètres ; je m’imaginais des tribus entières
de koalas amassés dans les branches et je humais l’air, pensant pouvoir sentir l’effluve
frais et délicieux délivré par leur essence.
Je
m’émerveilllais de la splendeur de ce
ces arbres qui ployaient sous les assauts des vents ; ici c’est le vent
d’autan qui souffle, un vent qui vient du sud et qui a la réputation de rendre
fou, mais j’étais désespérée par le manque d’attention prodiguée à leur
environnement.
Les ronces
faisaient concurrence aux buissons épineux; le chaos peuplait ce champ non
cultivé. Les arbres n’étaient pas taillés, ils ne s’en portaient pas plus mal
d’ailleurs, j’aimais le charme exotique de cette verdure plaisante.
Un jour, en
rentrant de vacances, nous avons retrouvé cet immense pré complètement calciné,
les arbres noircis, l’herbe totalement brûlée, un véritable spectacle de
désolation ; les flammes s’étaient arrêtées à quelques mètres de notre
maison, laissant prévoir un désastre rétrospectif évité de justesse.
Il ne restait plus que quelques
arbrisseaux épais qui avaient échappé au désastre. Trois casernes de pompiers
avaient été dépêchées, ce qui en disait long sur la dangerosité de l’événement.
Les flammes atteignaient vingt mètres de haut, avait-on lu plus tard dans le
journal.
Les eucalyptus avaient
pratiquement tous brûlé mis à part une dizaine de spécimens, mais les
broussailles, elles, étaient restées, toujours aussi vivantes et épineuses.
Le soleil
frappait fort à cette période de l’année, c’était manifestement dangereux, je
guettais alors la moindre étincelle, le moindre scintillement qui aurait pu
marquer le démarrage d’une nouvelle catastrophe incendiaire.
J’avais
peur de quitter la maison ;je revenais bien vite pour m’assurer que la maison
était toujours en place. La cuve à mazout est située de ce côté de l’habitation
ce qui m’incitait à être prudente.
Ce pré ne présentait plus
d’attrait à mes yeux, je m’en désintéressai autant qu’il m’avait fait rêver
autrefois.
Autour de moi, des maisons, du
grillage et des ronces, même plus une fleur, toutes piétinées par les assauts
du feu.
J’en pleurais d’amertume et de frustration. Là où
jadis mon imaginaire gambadait me faisant croire que je me trouvais en
Australie, la dévastation l’avait emporté laissant mon esprit en détresse et à
la dérive.
Ce pré demeura comme ça, dénué de
vie et d’intérêt pendant des années. Je ne le regardais même plus.
Un jour, j’aperçus une tache marron
qui se déplaçait au milieu. Vu que
l’herbe était haute et l’étendue vaste, il m’était impossible de distinguer
exactement ce que c’était.
Je m’approchai alors du grillage
rouillé qui jouxtait la maison, et cette tache devint plus distincte alors
qu’elle se mouvait dans diverses directions.
Je fus intriguée, et essayai de
mieux entrevoir, alors j’aperçus une seconde tache blanche qui s’approchait de
la première.
« Tiens, des
vaches ? » pensai-je immédiatement.
Comme nous avons un portillon qui
donne sur ce pré, puisqu’une longe de terre de l’autre côté du grillage nous
appartient, je l’ouvris et progressai délicatement à travers les hautes herbes,
enjambant les ronces et les rocailles. Alors que je m’acheminai, les taches se
précisèrent,…c’était des chevaux !
Deux
superbes chevaux, un de trait et l’autre aux jambes fines. Le cheval de trait
était paré d’une robe blanche peu entretenue et celui aux jambes fines avait
une robe pi brun foncé. J’avais toujours eu peur des chevaux, allez savoir
pourquoi.
La
splendeur de leur âme m’attira vers eux, ils en firent de même. De nulle part apparut
le fils du berger qui m’éructa un flot de paroles que je compris comme
m’interdisant de les approcher.
Allons
bon ! Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? C’est vrai, il ne m’adresse
la parole que pour me demander de l’aide, emmener son chien chez le vétérinaire
ou pour grommeler on ne sait quoi. A se demander s’il sait parler.
Il tenta dans son sabir de me
faire comprendre : « pas touche, elles sont à moi ! »
Je
n’avais pas l’intention de leur faire du mal, bien au contraire. Ah bon, ce
sont des femelles ?
Sur ce, je tournai les talons et
retournai chez moi par le même portillon qui m’avait servi à transgresser la
règle.
Quand il
eut disparu, je décidai de repasser le portillon, elles avaient compris que je
ne voulais que les regarder. Elles décidèrent de me rejoindre, j’en fus étonnée
car je n’avais aucune habitude de ces animaux, je ne savais comment m’y
prendre. Je commençai à claquer ma langue dans ma bouche comme je l’avais vu si
souvent faire par mes enfants lorsqu’ils montaient des poneys.
Elles
tendirent les oreilles avantageusement et progressèrent de plus en plus dans ma
direction sans empressement, sans peur non plus.
Je ne
remuai pas le moins du monde pour ne pas les effrayer. Cela sembla fonctionner
puisqu’elles parvinrent jusqu’à moi. Quant elles furent à quelques mètres de
moi, je tendis la main sans précipitation pour qu’elles me sentent et adoptent
toute liberté à mon égard. Ma fille m’avait expliqué qu’il fallait toujours
tendre la main pour que les chevaux puissent respirer notre odeur avant de
tenter autre chose.
Elles
respirèrent ma main ensemble, et tentèrent de saisir une hypothétique
nourriture avec leurs grosses lèvres, découvrant des dents énormes qui
m’auraient fait fuir auparavant. Je commençai à monter délicatement ma main sur
leur museau pour les caresser, elles ne cessèrent de lever le museau pour
essayer de happer de quoi manger.
Alors je repassai le portillon et
revins avec des morceaux de pain dur.
Je procédai comme précédemment,
j’avançai délicatement ma main droite, les laissai me sentir, puis leur
présentai leur gourmandise. De nouveau, leurs grosses babines m’impressionnèrent,
je sentis un chatouillement à l’intérieur de la main. Ça me fit rigoler.
Elles étaient belles mais mal
entretenues comme le pré dans lequel elles paissaient. Leur poil n’était jamais
brossé et les mouches s’en donnaient à cœur joie autour de leur corps torturé
par les piqûres des mouches plates. Magali m’avait expliqué que les mouches
plates piquaient les chevaux en les martyrisant, mais qu’on pouvait les enduire
d’un répulsif qui écartait les insectes.
Ceci dit, cela ne semblait pas
être une préoccupation du maître, qui cette fois-ci encore fit une apparition
fulgurante mais tacite. En effet, je suis peu impressionnable, ce genre
d’attitude n’a aucun impact sur moi.
Il dut s’en rendre compte car dès
le lendemain il était en train de poser du fil électrique autour du grillage,
je m’en inquiétai, alors il me hurla qu’il posait les fils pour ne pas qu’elles
endommagent mon grillage qui était bien rouillé et n’avait pas attendu la
présence de ces charmantes bêtes pour s’effondrer. Il était clair qu’il voulait
m’empêcher de les approcher. Pour quelle raison ? Peut-on trouver une
raison à la bêtise ?
Le
lendemain, mon fils, qui pratiquait le poney lui aussi, leur donna du pain dur,
le personnage en question passant près de là comme par hasard l’incendia.
Il revint quelques heures plus
tard pour s’excuser, mais je compris le pourquoi du comment quelques jours
après quand je le vis tenter de s’approcher de ses bêtes en beuglant alors
qu’elles s’en éloignaient.
En fait, lui qui était le
propriétaire ne savait pas s’en approcher, et il était jaloux que l’on pût y
parvenir.
Pourtant, autant mon fils était
habitué aux équidés, autant je ne l’étais pas et n’étais guère familiarisée
avec l’approche qu’il fallait avoir avec ces êtres qui à mon avis étaient dotés
d’une intelligence supérieure.
Je ne sais pas comment ni
pourquoi je les attirais, sans doute mon amour et mon respect inconditionnels
des animaux.
Il aurait dû être content que ses
voisins s’en satisfassent et s’entendissent si bien avec ce qu’ils auraient pu
considérer comme des intrus à côté de chez eux.
Les juments passaient tout leur
temps près du grillage car il y avait de l’ombre sous un arbrisseau, c’est du
moins l’explication que je me donnais. Alors je les approchais comme je
pouvais, entravée pour sûr par ce fil électrique malvenu, qui les empêchait
autant de me parler que moi de communiquer avec elles. Alors je décidai de les
rejoindre en me glissant sous le fil électrique.
Non, je n’avais pas peur d’être
électrocutée, de plus j’estimais que le jeu en valait la chandelle, alors que faire
du 12 volts dans le dos quand je pouvais caresser tendrement ces êtres venus
d’ailleurs ?
Je regardais avant chacune de ces
entreprises si le propriétaire n’était pas là, plus pour ne pas qu’il se venge
sur elles que par une réelle emprise qu’il aurait pu avoir sur mes émotions. Je
roulais dans l’herbe, salissant à chaque fois mes habits et elles approchaient
immédiatement, alors je me méfiais des sabots que je savais redoutables, et
bondissais systématiquement devant elles pour échapper à une éventuelle ruade.
D’une main, je leur distribuais
la friandise tant attendue, tandis que de l’autre je leur caressais les
museaux, geste affectueux auquel elles n’étaient pas vraiment accoutumées. Je
m’aventurais jusqu’à leur flanc, pour découvrir une peau frissonnante sous
l’effet de ma main bienveillante.
Depuis ces moments intimes je
n’eus plus de cesse qu’elles me murmurassent à l’oreille. C’est là que je
compris le titre du livre : « l’homme qui murmurait à l’oreille
des chevaux ».
En fait, ce n’est pas tant
l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux qu’un échange complaisant de
chacune des parties. Il est vrai que tout se passe à l’oreille, même si aucun
son n’est prononcé de part et d’autre.
Je n’aurai dorénavant plus peur
des chevaux. Les chevaux n’auront plus à me redouter.
…la superbe jument pi avait
disparu, il ne restait plus que la jument blanche, enfin si l’on peut dire
puisque sa robe n’était jamais nettoyée.
Elle devait se sentir bien seule
la pauvre. Je m’efforçai de lui rendre visite plus souvent pour lui éviter la
solitude. Chaque fois je procédai de la même façon, j’ouvrais le portillon qui
ne tenait plus que par un fil électrique tordu, je posais mes genoux dans
l’herbe, et je me couchais pour passer sous le fil, puis j’allais lui donner du
pain et la caresser, tentant de chasser les mouches qui ne cessaient de la
harceler, en particulier autour des yeux…
Je dus me faire hospitaliser,
Thierry vint me voir une fois avec son appareil photo; il me montra un
minuscule poulain à côté de la jument. Elle avait mis bas pendant mon absence.
Une immense émotion s’empara de moi. Comment ne pas craquer devant un bébé,
qu’il soit humain ou animal ?
Après mon séjour à l’hôpital, je
pus enfin découvrir la merveille dont elle avait accouché, c’était un étalon,
il avait une robe pi. Il suivait sa mère partout. Il la tétait. C’était
attendrissant !
Je les pris en photo une
multitude de fois.
Je tentai d’approcher le grillage
comme je le faisais auparavant, mais le poulain avait peur et sa mère le
rassurait. Je n’insistais pas, tendant quand même du pain dur à la mère pendant
que le petit s’abreuvait du lait nourricier.
Une fois, alors que la mère
grignotait le pain, le poulain s’aventura à respirer ma main, puis il avança
ses grosses lèvres et mordit dedans. Alors j’en profitai pour approcher l’autre
main de sa crinière soyeuse. Il ne
montra nulle crainte, alors je décidai d’aventurer ma main encore plus loin,
encore plus doucement, il se laissa faire. Je leur rendais visite
quotidiennement jusqu’au jour où je ne les ai plus vus, car terrassée par un
terrible accident, j’avais perdu momentanément l’usage d’une de mes jambes. Je
fus hospitalisée puis immobilisée sur un fauteuil, le fauteuil de la honte,
celui qui vous rappelle à chaque instant que vous ne pouvez pas remuer ne
serait-ce que la main sans déclencher tout un chapelet de douleurs dans la
jambe. Quant au moral, fixé par le destin au dossier de ce fauteuil, il tombait
inéluctablement au rythme des mouvements que je ne pouvais plus faire :
plus marcher, plus bouger le corps au risque de m’irradier toute mon enveloppe
corporelle qui devenait mon tortionnaire.
Pendant ce temps, mes compagnons
continuaient quotidiennement de s’approcher du grillage, je les apercevais
quand je parvenais à faire rouler mon fauteuil jusque sur la terrasse. Je
pleurais car je ne pouvais les caresser, une quinzaine de marches nous
séparant. Malgré tout, leur présence fidèle me réchauffait le cœur.
Pendant plus de deux mois j’ai été
confinée dans ma maison sans pouvoir sortir sans aide à cause de ces quinze marches à descendre et à remonter.
Plâtrée, puis immobilisée sous attelle, ma jambe ne pouvait que se laisser
balancer en l’air au gré des cannes anglaises ou du fauteuil. Impossible
d’aller dire bonjour à mes voisins.
Un après-midi, je m’étais
réveillée d’un sommeil profond accentué par une douleur intense à la jambe, et
j’ai entendu mon chien aboyer comme un
malade vers le pré, je savais qu’ils étaient là à m’attendre. Cette fois-là, libérée
de l’attelle mais souffrant abondamment, j’ai décidé de descendre les marches
dégelées en me cramponnant d’une main à la rampe et de l’autre à la canne, je
suis descendue en chaussons dans la boue,…ils étaient là immobiles, les yeux
rivés sur moi, pendant que mon chien s’excitait sur eux.
Lorsque je suis parvenue au
grillage, j’ai incliné mon corps pour pouvoir caresser leur museau et ils m’ont
parlé doucement, délicatement, m’encourageant.
J’ai alors sorti de ma poche deux gros morceaux de pain dur et
ai tendu un morceau à la mère, j’ai vu que le poulain tétait sa mère, c’était
merveilleux, grandiose. Quand il a été repu du lait maternel, il s’est avancé
vers moi et a croqué le morceau de pain que je lui ai tendu.
Ils ne m’avaient jamais oubliée malgré mes longues semaines
d’absence.
Ils ont touché mon cœur et mon corps tuméfié, je ne les avais
jamais laissé tomber, eux non plus.
Le pré à
côté de chez moi
Il était jadis peuplé
d’eucalyptus et plein de broussailles. Les eucalyptus, c’est joli et en
plus ça sent bon ; je les regardais de loin, de haut ; les eucalyptus
peuvent atteindre des dizaines de mètres ; je m’imaginais des tribus entières
de koalas amassés dans les branches et je humais l’air, pensant pouvoir sentir l’effluve
frais et délicieux délivré par leur essence.
Je
m’émerveilllais de la splendeur de ce
ces arbres qui ployaient sous les assauts des vents ; ici c’est le vent
d’autan qui souffle, un vent qui vient du sud et qui a la réputation de rendre
fou, mais j’étais désespérée par le manque d’attention prodiguée à leur
environnement.
Les ronces
faisaient concurrence aux buissons épineux; le chaos peuplait ce champ non
cultivé. Les arbres n’étaient pas taillés, ils ne s’en portaient pas plus mal
d’ailleurs, j’aimais le charme exotique de cette verdure plaisante.
Un jour, en
rentrant de vacances, nous avons retrouvé cet immense pré complètement calciné,
les arbres noircis, l’herbe totalement brûlée, un véritable spectacle de
désolation ; les flammes s’étaient arrêtées à quelques mètres de notre
maison, laissant prévoir un désastre rétrospectif évité de justesse.
Il ne restait plus que quelques
arbrisseaux épais qui avaient échappé au désastre. Trois casernes de pompiers
avaient été dépêchées, ce qui en disait long sur la dangerosité de l’événement.
Les flammes atteignaient vingt mètres de haut, avait-on lu plus tard dans le
journal.
Les eucalyptus avaient
pratiquement tous brûlé mis à part une dizaine de spécimens, mais les
broussailles, elles, étaient restées, toujours aussi vivantes et épineuses.
Le soleil
frappait fort à cette période de l’année, c’était manifestement dangereux, je
guettais alors la moindre étincelle, le moindre scintillement qui aurait pu
marquer le démarrage d’une nouvelle catastrophe incendiaire.
J’avais
peur de quitter la maison ;je revenais bien vite pour m’assurer que la maison
était toujours en place. La cuve à mazout est située de ce côté de l’habitation
ce qui m’incitait à être prudente.
Ce pré ne présentait plus
d’attrait à mes yeux, je m’en désintéressai autant qu’il m’avait fait rêver
autrefois.
Autour de moi, des maisons, du
grillage et des ronces, même plus une fleur, toutes piétinées par les assauts
du feu.
J’en pleurais d’amertume et de frustration. Là où
jadis mon imaginaire gambadait me faisant croire que je me trouvais en
Australie, la dévastation l’avait emporté laissant mon esprit en détresse et à
la dérive.
Ce pré demeura comme ça, dénué de
vie et d’intérêt pendant des années. Je ne le regardais même plus.
Un jour, j’aperçus une tache marron
qui se déplaçait au milieu. Vu que
l’herbe était haute et l’étendue vaste, il m’était impossible de distinguer
exactement ce que c’était.
Je m’approchai alors du grillage
rouillé qui jouxtait la maison, et cette tache devint plus distincte alors
qu’elle se mouvait dans diverses directions.
Je fus intriguée, et essayai de
mieux entrevoir, alors j’aperçus une seconde tache blanche qui s’approchait de
la première.
« Tiens, des
vaches ? » pensai-je immédiatement.
Comme nous avons un portillon qui
donne sur ce pré, puisqu’une longe de terre de l’autre côté du grillage nous
appartient, je l’ouvris et progressai délicatement à travers les hautes herbes,
enjambant les ronces et les rocailles. Alors que je m’acheminai, les taches se
précisèrent,…c’était des chevaux !
Deux
superbes chevaux, un de trait et l’autre aux jambes fines. Le cheval de trait
était paré d’une robe blanche peu entretenue et celui aux jambes fines avait
une robe pi brun foncé. J’avais toujours eu peur des chevaux, allez savoir
pourquoi.
La
splendeur de leur âme m’attira vers eux, ils en firent de même. De nulle part apparut
le fils du berger qui m’éructa un flot de paroles que je compris comme
m’interdisant de les approcher.
Allons
bon ! Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? C’est vrai, il ne m’adresse
la parole que pour me demander de l’aide, emmener son chien chez le vétérinaire
ou pour grommeler on ne sait quoi. A se demander s’il sait parler.
Il tenta dans son sabir de me
faire comprendre : « pas touche, elles sont à moi ! »
Je
n’avais pas l’intention de leur faire du mal, bien au contraire. Ah bon, ce
sont des femelles ?
Sur ce, je tournai les talons et
retournai chez moi par le même portillon qui m’avait servi à transgresser la
règle.
Quand il
eut disparu, je décidai de repasser le portillon, elles avaient compris que je
ne voulais que les regarder. Elles décidèrent de me rejoindre, j’en fus étonnée
car je n’avais aucune habitude de ces animaux, je ne savais comment m’y
prendre. Je commençai à claquer ma langue dans ma bouche comme je l’avais vu si
souvent faire par mes enfants lorsqu’ils montaient des poneys.
Elles
tendirent les oreilles avantageusement et progressèrent de plus en plus dans ma
direction sans empressement, sans peur non plus.
Je ne
remuai pas le moins du monde pour ne pas les effrayer. Cela sembla fonctionner
puisqu’elles parvinrent jusqu’à moi. Quant elles furent à quelques mètres de
moi, je tendis la main sans précipitation pour qu’elles me sentent et adoptent
toute liberté à mon égard. Ma fille m’avait expliqué qu’il fallait toujours
tendre la main pour que les chevaux puissent respirer notre odeur avant de
tenter autre chose.
Elles
respirèrent ma main ensemble, et tentèrent de saisir une hypothétique
nourriture avec leurs grosses lèvres, découvrant des dents énormes qui
m’auraient fait fuir auparavant. Je commençai à monter délicatement ma main sur
leur museau pour les caresser, elles ne cessèrent de lever le museau pour
essayer de happer de quoi manger.
Alors je repassai le portillon et
revins avec des morceaux de pain dur.
Je procédai comme précédemment,
j’avançai délicatement ma main droite, les laissai me sentir, puis leur
présentai leur gourmandise. De nouveau, leurs grosses babines m’impressionnèrent,
je sentis un chatouillement à l’intérieur de la main. Ça me fit rigoler.
Elles étaient belles mais mal
entretenues comme le pré dans lequel elles paissaient. Leur poil n’était jamais
brossé et les mouches s’en donnaient à cœur joie autour de leur corps torturé
par les piqûres des mouches plates. Magali m’avait expliqué que les mouches
plates piquaient les chevaux en les martyrisant, mais qu’on pouvait les enduire
d’un répulsif qui écartait les insectes.
Ceci dit, cela ne semblait pas
être une préoccupation du maître, qui cette fois-ci encore fit une apparition
fulgurante mais tacite. En effet, je suis peu impressionnable, ce genre
d’attitude n’a aucun impact sur moi.
Il dut s’en rendre compte car dès
le lendemain il était en train de poser du fil électrique autour du grillage,
je m’en inquiétai, alors il me hurla qu’il posait les fils pour ne pas qu’elles
endommagent mon grillage qui était bien rouillé et n’avait pas attendu la
présence de ces charmantes bêtes pour s’effondrer. Il était clair qu’il voulait
m’empêcher de les approcher. Pour quelle raison ? Peut-on trouver une
raison à la bêtise ?
Le
lendemain, mon fils, qui pratiquait le poney lui aussi, leur donna du pain dur,
le personnage en question passant près de là comme par hasard l’incendia.
Il revint quelques heures plus
tard pour s’excuser, mais je compris le pourquoi du comment quelques jours
après quand je le vis tenter de s’approcher de ses bêtes en beuglant alors
qu’elles s’en éloignaient.
En fait, lui qui était le
propriétaire ne savait pas s’en approcher, et il était jaloux que l’on pût y
parvenir.
Pourtant, autant mon fils était
habitué aux équidés, autant je ne l’étais pas et n’étais guère familiarisée
avec l’approche qu’il fallait avoir avec ces êtres qui à mon avis étaient dotés
d’une intelligence supérieure.
Je ne sais pas comment ni
pourquoi je les attirais, sans doute mon amour et mon respect inconditionnels
des animaux.
Il aurait dû être content que ses
voisins s’en satisfassent et s’entendissent si bien avec ce qu’ils auraient pu
considérer comme des intrus à côté de chez eux.
Les juments passaient tout leur
temps près du grillage car il y avait de l’ombre sous un arbrisseau, c’est du
moins l’explication que je me donnais. Alors je les approchais comme je
pouvais, entravée pour sûr par ce fil électrique malvenu, qui les empêchait
autant de me parler que moi de communiquer avec elles. Alors je décidai de les
rejoindre en me glissant sous le fil électrique.
Non, je n’avais pas peur d’être
électrocutée, de plus j’estimais que le jeu en valait la chandelle, alors que faire
du 12 volts dans le dos quand je pouvais caresser tendrement ces êtres venus
d’ailleurs ?
Je regardais avant chacune de ces
entreprises si le propriétaire n’était pas là, plus pour ne pas qu’il se venge
sur elles que par une réelle emprise qu’il aurait pu avoir sur mes émotions. Je
roulais dans l’herbe, salissant à chaque fois mes habits et elles approchaient
immédiatement, alors je me méfiais des sabots que je savais redoutables, et
bondissais systématiquement devant elles pour échapper à une éventuelle ruade.
D’une main, je leur distribuais
la friandise tant attendue, tandis que de l’autre je leur caressais les
museaux, geste affectueux auquel elles n’étaient pas vraiment accoutumées. Je
m’aventurais jusqu’à leur flanc, pour découvrir une peau frissonnante sous
l’effet de ma main bienveillante.
Depuis ces moments intimes je
n’eus plus de cesse qu’elles me murmurassent à l’oreille. C’est là que je
compris le titre du livre : « l’homme qui murmurait à l’oreille
des chevaux ».
En fait, ce n’est pas tant
l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux qu’un échange complaisant de
chacune des parties. Il est vrai que tout se passe à l’oreille, même si aucun
son n’est prononcé de part et d’autre.
Je n’aurai dorénavant plus peur
des chevaux. Les chevaux n’auront plus à me redouter.
…la superbe jument pi avait
disparu, il ne restait plus que la jument blanche, enfin si l’on peut dire
puisque sa robe n’était jamais nettoyée.
Elle devait se sentir bien seule
la pauvre. Je m’efforçai de lui rendre visite plus souvent pour lui éviter la
solitude. Chaque fois je procédai de la même façon, j’ouvrais le portillon qui
ne tenait plus que par un fil électrique tordu, je posais mes genoux dans
l’herbe, et je me couchais pour passer sous le fil, puis j’allais lui donner du
pain et la caresser, tentant de chasser les mouches qui ne cessaient de la
harceler, en particulier autour des yeux…
Je dus me faire hospitaliser,
Thierry vint me voir une fois avec son appareil photo; il me montra un
minuscule poulain à côté de la jument. Elle avait mis bas pendant mon absence.
Une immense émotion s’empara de moi. Comment ne pas craquer devant un bébé,
qu’il soit humain ou animal ?
Après mon séjour à l’hôpital, je
pus enfin découvrir la merveille dont elle avait accouché, c’était un étalon,
il avait une robe pi. Il suivait sa mère partout. Il la tétait. C’était
attendrissant !
Je les pris en photo une
multitude de fois.
Je tentai d’approcher le grillage
comme je le faisais auparavant, mais le poulain avait peur et sa mère le
rassurait. Je n’insistais pas, tendant quand même du pain dur à la mère pendant
que le petit s’abreuvait du lait nourricier.
Une fois, alors que la mère
grignotait le pain, le poulain s’aventura à respirer ma main, puis il avança
ses grosses lèvres et mordit dedans. Alors j’en profitai pour approcher l’autre
main de sa crinière soyeuse. Il ne
montra nulle crainte, alors je décidai d’aventurer ma main encore plus loin,
encore plus doucement, il se laissa faire. Je leur rendais visite
quotidiennement jusqu’au jour où je ne les ai plus vus, car terrassée par un
terrible accident, j’avais perdu momentanément l’usage d’une de mes jambes. Je
fus hospitalisée puis immobilisée sur un fauteuil, le fauteuil de la honte,
celui qui vous rappelle à chaque instant que vous ne pouvez pas remuer ne
serait-ce que la main sans déclencher tout un chapelet de douleurs dans la
jambe. Quant au moral, fixé par le destin au dossier de ce fauteuil, il tombait
inéluctablement au rythme des mouvements que je ne pouvais plus faire :
plus marcher, plus bouger le corps au risque de m’irradier toute mon enveloppe
corporelle qui devenait mon tortionnaire.
Pendant ce temps, mes compagnons
continuaient quotidiennement de s’approcher du grillage, je les apercevais
quand je parvenais à faire rouler mon fauteuil jusque sur la terrasse. Je
pleurais car je ne pouvais les caresser, une quinzaine de marches nous
séparant. Malgré tout, leur présence fidèle me réchauffait le cœur.
Pendant plus de deux mois j’ai été
confinée dans ma maison sans pouvoir sortir sans aide à cause de ces quinze marches à descendre et à remonter.
Plâtrée, puis immobilisée sous attelle, ma jambe ne pouvait que se laisser
balancer en l’air au gré des cannes anglaises ou du fauteuil. Impossible
d’aller dire bonjour à mes voisins.
Un après-midi, je m’étais
réveillée d’un sommeil profond accentué par une douleur intense à la jambe, et
j’ai entendu mon chien aboyer comme un
malade vers le pré, je savais qu’ils étaient là à m’attendre. Cette fois-là, libérée
de l’attelle mais souffrant abondamment, j’ai décidé de descendre les marches
dégelées en me cramponnant d’une main à la rampe et de l’autre à la canne, je
suis descendue en chaussons dans la boue,…ils étaient là immobiles, les yeux
rivés sur moi, pendant que mon chien s’excitait sur eux.
Lorsque je suis parvenue au
grillage, j’ai incliné mon corps pour pouvoir caresser leur museau et ils m’ont
parlé doucement, délicatement, m’encourageant.
J’ai alors sorti de ma poche deux gros morceaux de pain dur et
ai tendu un morceau à la mère, j’ai vu que le poulain tétait sa mère, c’était
merveilleux, grandiose. Quand il a été repu du lait maternel, il s’est avancé
vers moi et a croqué le morceau de pain que je lui ai tendu.
Ils ne m’avaient jamais oubliée malgré mes longues semaines
d’absence.
Ils ont touché mon cœur et mon corps tuméfié, je ne les avais
jamais laissé tomber, eux non plus.
[img][/img]
côté de chez moi
Il était jadis peuplé
d’eucalyptus et plein de broussailles. Les eucalyptus, c’est joli et en
plus ça sent bon ; je les regardais de loin, de haut ; les eucalyptus
peuvent atteindre des dizaines de mètres ; je m’imaginais des tribus entières
de koalas amassés dans les branches et je humais l’air, pensant pouvoir sentir l’effluve
frais et délicieux délivré par leur essence.
Je
m’émerveilllais de la splendeur de ce
ces arbres qui ployaient sous les assauts des vents ; ici c’est le vent
d’autan qui souffle, un vent qui vient du sud et qui a la réputation de rendre
fou, mais j’étais désespérée par le manque d’attention prodiguée à leur
environnement.
Les ronces
faisaient concurrence aux buissons épineux; le chaos peuplait ce champ non
cultivé. Les arbres n’étaient pas taillés, ils ne s’en portaient pas plus mal
d’ailleurs, j’aimais le charme exotique de cette verdure plaisante.
Un jour, en
rentrant de vacances, nous avons retrouvé cet immense pré complètement calciné,
les arbres noircis, l’herbe totalement brûlée, un véritable spectacle de
désolation ; les flammes s’étaient arrêtées à quelques mètres de notre
maison, laissant prévoir un désastre rétrospectif évité de justesse.
Il ne restait plus que quelques
arbrisseaux épais qui avaient échappé au désastre. Trois casernes de pompiers
avaient été dépêchées, ce qui en disait long sur la dangerosité de l’événement.
Les flammes atteignaient vingt mètres de haut, avait-on lu plus tard dans le
journal.
Les eucalyptus avaient
pratiquement tous brûlé mis à part une dizaine de spécimens, mais les
broussailles, elles, étaient restées, toujours aussi vivantes et épineuses.
Le soleil
frappait fort à cette période de l’année, c’était manifestement dangereux, je
guettais alors la moindre étincelle, le moindre scintillement qui aurait pu
marquer le démarrage d’une nouvelle catastrophe incendiaire.
J’avais
peur de quitter la maison ;je revenais bien vite pour m’assurer que la maison
était toujours en place. La cuve à mazout est située de ce côté de l’habitation
ce qui m’incitait à être prudente.
Ce pré ne présentait plus
d’attrait à mes yeux, je m’en désintéressai autant qu’il m’avait fait rêver
autrefois.
Autour de moi, des maisons, du
grillage et des ronces, même plus une fleur, toutes piétinées par les assauts
du feu.
J’en pleurais d’amertume et de frustration. Là où
jadis mon imaginaire gambadait me faisant croire que je me trouvais en
Australie, la dévastation l’avait emporté laissant mon esprit en détresse et à
la dérive.
Ce pré demeura comme ça, dénué de
vie et d’intérêt pendant des années. Je ne le regardais même plus.
Un jour, j’aperçus une tache marron
qui se déplaçait au milieu. Vu que
l’herbe était haute et l’étendue vaste, il m’était impossible de distinguer
exactement ce que c’était.
Je m’approchai alors du grillage
rouillé qui jouxtait la maison, et cette tache devint plus distincte alors
qu’elle se mouvait dans diverses directions.
Je fus intriguée, et essayai de
mieux entrevoir, alors j’aperçus une seconde tache blanche qui s’approchait de
la première.
« Tiens, des
vaches ? » pensai-je immédiatement.
Comme nous avons un portillon qui
donne sur ce pré, puisqu’une longe de terre de l’autre côté du grillage nous
appartient, je l’ouvris et progressai délicatement à travers les hautes herbes,
enjambant les ronces et les rocailles. Alors que je m’acheminai, les taches se
précisèrent,…c’était des chevaux !
Deux
superbes chevaux, un de trait et l’autre aux jambes fines. Le cheval de trait
était paré d’une robe blanche peu entretenue et celui aux jambes fines avait
une robe pi brun foncé. J’avais toujours eu peur des chevaux, allez savoir
pourquoi.
La
splendeur de leur âme m’attira vers eux, ils en firent de même. De nulle part apparut
le fils du berger qui m’éructa un flot de paroles que je compris comme
m’interdisant de les approcher.
Allons
bon ! Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? C’est vrai, il ne m’adresse
la parole que pour me demander de l’aide, emmener son chien chez le vétérinaire
ou pour grommeler on ne sait quoi. A se demander s’il sait parler.
Il tenta dans son sabir de me
faire comprendre : « pas touche, elles sont à moi ! »
Je
n’avais pas l’intention de leur faire du mal, bien au contraire. Ah bon, ce
sont des femelles ?
Sur ce, je tournai les talons et
retournai chez moi par le même portillon qui m’avait servi à transgresser la
règle.
Quand il
eut disparu, je décidai de repasser le portillon, elles avaient compris que je
ne voulais que les regarder. Elles décidèrent de me rejoindre, j’en fus étonnée
car je n’avais aucune habitude de ces animaux, je ne savais comment m’y
prendre. Je commençai à claquer ma langue dans ma bouche comme je l’avais vu si
souvent faire par mes enfants lorsqu’ils montaient des poneys.
Elles
tendirent les oreilles avantageusement et progressèrent de plus en plus dans ma
direction sans empressement, sans peur non plus.
Je ne
remuai pas le moins du monde pour ne pas les effrayer. Cela sembla fonctionner
puisqu’elles parvinrent jusqu’à moi. Quant elles furent à quelques mètres de
moi, je tendis la main sans précipitation pour qu’elles me sentent et adoptent
toute liberté à mon égard. Ma fille m’avait expliqué qu’il fallait toujours
tendre la main pour que les chevaux puissent respirer notre odeur avant de
tenter autre chose.
Elles
respirèrent ma main ensemble, et tentèrent de saisir une hypothétique
nourriture avec leurs grosses lèvres, découvrant des dents énormes qui
m’auraient fait fuir auparavant. Je commençai à monter délicatement ma main sur
leur museau pour les caresser, elles ne cessèrent de lever le museau pour
essayer de happer de quoi manger.
Alors je repassai le portillon et
revins avec des morceaux de pain dur.
Je procédai comme précédemment,
j’avançai délicatement ma main droite, les laissai me sentir, puis leur
présentai leur gourmandise. De nouveau, leurs grosses babines m’impressionnèrent,
je sentis un chatouillement à l’intérieur de la main. Ça me fit rigoler.
Elles étaient belles mais mal
entretenues comme le pré dans lequel elles paissaient. Leur poil n’était jamais
brossé et les mouches s’en donnaient à cœur joie autour de leur corps torturé
par les piqûres des mouches plates. Magali m’avait expliqué que les mouches
plates piquaient les chevaux en les martyrisant, mais qu’on pouvait les enduire
d’un répulsif qui écartait les insectes.
Ceci dit, cela ne semblait pas
être une préoccupation du maître, qui cette fois-ci encore fit une apparition
fulgurante mais tacite. En effet, je suis peu impressionnable, ce genre
d’attitude n’a aucun impact sur moi.
Il dut s’en rendre compte car dès
le lendemain il était en train de poser du fil électrique autour du grillage,
je m’en inquiétai, alors il me hurla qu’il posait les fils pour ne pas qu’elles
endommagent mon grillage qui était bien rouillé et n’avait pas attendu la
présence de ces charmantes bêtes pour s’effondrer. Il était clair qu’il voulait
m’empêcher de les approcher. Pour quelle raison ? Peut-on trouver une
raison à la bêtise ?
Le
lendemain, mon fils, qui pratiquait le poney lui aussi, leur donna du pain dur,
le personnage en question passant près de là comme par hasard l’incendia.
Il revint quelques heures plus
tard pour s’excuser, mais je compris le pourquoi du comment quelques jours
après quand je le vis tenter de s’approcher de ses bêtes en beuglant alors
qu’elles s’en éloignaient.
En fait, lui qui était le
propriétaire ne savait pas s’en approcher, et il était jaloux que l’on pût y
parvenir.
Pourtant, autant mon fils était
habitué aux équidés, autant je ne l’étais pas et n’étais guère familiarisée
avec l’approche qu’il fallait avoir avec ces êtres qui à mon avis étaient dotés
d’une intelligence supérieure.
Je ne sais pas comment ni
pourquoi je les attirais, sans doute mon amour et mon respect inconditionnels
des animaux.
Il aurait dû être content que ses
voisins s’en satisfassent et s’entendissent si bien avec ce qu’ils auraient pu
considérer comme des intrus à côté de chez eux.
Les juments passaient tout leur
temps près du grillage car il y avait de l’ombre sous un arbrisseau, c’est du
moins l’explication que je me donnais. Alors je les approchais comme je
pouvais, entravée pour sûr par ce fil électrique malvenu, qui les empêchait
autant de me parler que moi de communiquer avec elles. Alors je décidai de les
rejoindre en me glissant sous le fil électrique.
Non, je n’avais pas peur d’être
électrocutée, de plus j’estimais que le jeu en valait la chandelle, alors que faire
du 12 volts dans le dos quand je pouvais caresser tendrement ces êtres venus
d’ailleurs ?
Je regardais avant chacune de ces
entreprises si le propriétaire n’était pas là, plus pour ne pas qu’il se venge
sur elles que par une réelle emprise qu’il aurait pu avoir sur mes émotions. Je
roulais dans l’herbe, salissant à chaque fois mes habits et elles approchaient
immédiatement, alors je me méfiais des sabots que je savais redoutables, et
bondissais systématiquement devant elles pour échapper à une éventuelle ruade.
D’une main, je leur distribuais
la friandise tant attendue, tandis que de l’autre je leur caressais les
museaux, geste affectueux auquel elles n’étaient pas vraiment accoutumées. Je
m’aventurais jusqu’à leur flanc, pour découvrir une peau frissonnante sous
l’effet de ma main bienveillante.
Depuis ces moments intimes je
n’eus plus de cesse qu’elles me murmurassent à l’oreille. C’est là que je
compris le titre du livre : « l’homme qui murmurait à l’oreille
des chevaux ».
En fait, ce n’est pas tant
l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux qu’un échange complaisant de
chacune des parties. Il est vrai que tout se passe à l’oreille, même si aucun
son n’est prononcé de part et d’autre.
Je n’aurai dorénavant plus peur
des chevaux. Les chevaux n’auront plus à me redouter.
…la superbe jument pi avait
disparu, il ne restait plus que la jument blanche, enfin si l’on peut dire
puisque sa robe n’était jamais nettoyée.
Elle devait se sentir bien seule
la pauvre. Je m’efforçai de lui rendre visite plus souvent pour lui éviter la
solitude. Chaque fois je procédai de la même façon, j’ouvrais le portillon qui
ne tenait plus que par un fil électrique tordu, je posais mes genoux dans
l’herbe, et je me couchais pour passer sous le fil, puis j’allais lui donner du
pain et la caresser, tentant de chasser les mouches qui ne cessaient de la
harceler, en particulier autour des yeux…
Je dus me faire hospitaliser,
Thierry vint me voir une fois avec son appareil photo; il me montra un
minuscule poulain à côté de la jument. Elle avait mis bas pendant mon absence.
Une immense émotion s’empara de moi. Comment ne pas craquer devant un bébé,
qu’il soit humain ou animal ?
Après mon séjour à l’hôpital, je
pus enfin découvrir la merveille dont elle avait accouché, c’était un étalon,
il avait une robe pi. Il suivait sa mère partout. Il la tétait. C’était
attendrissant !
Je les pris en photo une
multitude de fois.
Je tentai d’approcher le grillage
comme je le faisais auparavant, mais le poulain avait peur et sa mère le
rassurait. Je n’insistais pas, tendant quand même du pain dur à la mère pendant
que le petit s’abreuvait du lait nourricier.
Une fois, alors que la mère
grignotait le pain, le poulain s’aventura à respirer ma main, puis il avança
ses grosses lèvres et mordit dedans. Alors j’en profitai pour approcher l’autre
main de sa crinière soyeuse. Il ne
montra nulle crainte, alors je décidai d’aventurer ma main encore plus loin,
encore plus doucement, il se laissa faire. Je leur rendais visite
quotidiennement jusqu’au jour où je ne les ai plus vus, car terrassée par un
terrible accident, j’avais perdu momentanément l’usage d’une de mes jambes. Je
fus hospitalisée puis immobilisée sur un fauteuil, le fauteuil de la honte,
celui qui vous rappelle à chaque instant que vous ne pouvez pas remuer ne
serait-ce que la main sans déclencher tout un chapelet de douleurs dans la
jambe. Quant au moral, fixé par le destin au dossier de ce fauteuil, il tombait
inéluctablement au rythme des mouvements que je ne pouvais plus faire :
plus marcher, plus bouger le corps au risque de m’irradier toute mon enveloppe
corporelle qui devenait mon tortionnaire.
Pendant ce temps, mes compagnons
continuaient quotidiennement de s’approcher du grillage, je les apercevais
quand je parvenais à faire rouler mon fauteuil jusque sur la terrasse. Je
pleurais car je ne pouvais les caresser, une quinzaine de marches nous
séparant. Malgré tout, leur présence fidèle me réchauffait le cœur.
Pendant plus de deux mois j’ai été
confinée dans ma maison sans pouvoir sortir sans aide à cause de ces quinze marches à descendre et à remonter.
Plâtrée, puis immobilisée sous attelle, ma jambe ne pouvait que se laisser
balancer en l’air au gré des cannes anglaises ou du fauteuil. Impossible
d’aller dire bonjour à mes voisins.
Un après-midi, je m’étais
réveillée d’un sommeil profond accentué par une douleur intense à la jambe, et
j’ai entendu mon chien aboyer comme un
malade vers le pré, je savais qu’ils étaient là à m’attendre. Cette fois-là, libérée
de l’attelle mais souffrant abondamment, j’ai décidé de descendre les marches
dégelées en me cramponnant d’une main à la rampe et de l’autre à la canne, je
suis descendue en chaussons dans la boue,…ils étaient là immobiles, les yeux
rivés sur moi, pendant que mon chien s’excitait sur eux.
Lorsque je suis parvenue au
grillage, j’ai incliné mon corps pour pouvoir caresser leur museau et ils m’ont
parlé doucement, délicatement, m’encourageant.
J’ai alors sorti de ma poche deux gros morceaux de pain dur et
ai tendu un morceau à la mère, j’ai vu que le poulain tétait sa mère, c’était
merveilleux, grandiose. Quand il a été repu du lait maternel, il s’est avancé
vers moi et a croqué le morceau de pain que je lui ai tendu.
Ils ne m’avaient jamais oubliée malgré mes longues semaines
d’absence.
Ils ont touché mon cœur et mon corps tuméfié, je ne les avais
jamais laissé tomber, eux non plus.
Le pré à
côté de chez moi
Il était jadis peuplé
d’eucalyptus et plein de broussailles. Les eucalyptus, c’est joli et en
plus ça sent bon ; je les regardais de loin, de haut ; les eucalyptus
peuvent atteindre des dizaines de mètres ; je m’imaginais des tribus entières
de koalas amassés dans les branches et je humais l’air, pensant pouvoir sentir l’effluve
frais et délicieux délivré par leur essence.
Je
m’émerveilllais de la splendeur de ce
ces arbres qui ployaient sous les assauts des vents ; ici c’est le vent
d’autan qui souffle, un vent qui vient du sud et qui a la réputation de rendre
fou, mais j’étais désespérée par le manque d’attention prodiguée à leur
environnement.
Les ronces
faisaient concurrence aux buissons épineux; le chaos peuplait ce champ non
cultivé. Les arbres n’étaient pas taillés, ils ne s’en portaient pas plus mal
d’ailleurs, j’aimais le charme exotique de cette verdure plaisante.
Un jour, en
rentrant de vacances, nous avons retrouvé cet immense pré complètement calciné,
les arbres noircis, l’herbe totalement brûlée, un véritable spectacle de
désolation ; les flammes s’étaient arrêtées à quelques mètres de notre
maison, laissant prévoir un désastre rétrospectif évité de justesse.
Il ne restait plus que quelques
arbrisseaux épais qui avaient échappé au désastre. Trois casernes de pompiers
avaient été dépêchées, ce qui en disait long sur la dangerosité de l’événement.
Les flammes atteignaient vingt mètres de haut, avait-on lu plus tard dans le
journal.
Les eucalyptus avaient
pratiquement tous brûlé mis à part une dizaine de spécimens, mais les
broussailles, elles, étaient restées, toujours aussi vivantes et épineuses.
Le soleil
frappait fort à cette période de l’année, c’était manifestement dangereux, je
guettais alors la moindre étincelle, le moindre scintillement qui aurait pu
marquer le démarrage d’une nouvelle catastrophe incendiaire.
J’avais
peur de quitter la maison ;je revenais bien vite pour m’assurer que la maison
était toujours en place. La cuve à mazout est située de ce côté de l’habitation
ce qui m’incitait à être prudente.
Ce pré ne présentait plus
d’attrait à mes yeux, je m’en désintéressai autant qu’il m’avait fait rêver
autrefois.
Autour de moi, des maisons, du
grillage et des ronces, même plus une fleur, toutes piétinées par les assauts
du feu.
J’en pleurais d’amertume et de frustration. Là où
jadis mon imaginaire gambadait me faisant croire que je me trouvais en
Australie, la dévastation l’avait emporté laissant mon esprit en détresse et à
la dérive.
Ce pré demeura comme ça, dénué de
vie et d’intérêt pendant des années. Je ne le regardais même plus.
Un jour, j’aperçus une tache marron
qui se déplaçait au milieu. Vu que
l’herbe était haute et l’étendue vaste, il m’était impossible de distinguer
exactement ce que c’était.
Je m’approchai alors du grillage
rouillé qui jouxtait la maison, et cette tache devint plus distincte alors
qu’elle se mouvait dans diverses directions.
Je fus intriguée, et essayai de
mieux entrevoir, alors j’aperçus une seconde tache blanche qui s’approchait de
la première.
« Tiens, des
vaches ? » pensai-je immédiatement.
Comme nous avons un portillon qui
donne sur ce pré, puisqu’une longe de terre de l’autre côté du grillage nous
appartient, je l’ouvris et progressai délicatement à travers les hautes herbes,
enjambant les ronces et les rocailles. Alors que je m’acheminai, les taches se
précisèrent,…c’était des chevaux !
Deux
superbes chevaux, un de trait et l’autre aux jambes fines. Le cheval de trait
était paré d’une robe blanche peu entretenue et celui aux jambes fines avait
une robe pi brun foncé. J’avais toujours eu peur des chevaux, allez savoir
pourquoi.
La
splendeur de leur âme m’attira vers eux, ils en firent de même. De nulle part apparut
le fils du berger qui m’éructa un flot de paroles que je compris comme
m’interdisant de les approcher.
Allons
bon ! Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? C’est vrai, il ne m’adresse
la parole que pour me demander de l’aide, emmener son chien chez le vétérinaire
ou pour grommeler on ne sait quoi. A se demander s’il sait parler.
Il tenta dans son sabir de me
faire comprendre : « pas touche, elles sont à moi ! »
Je
n’avais pas l’intention de leur faire du mal, bien au contraire. Ah bon, ce
sont des femelles ?
Sur ce, je tournai les talons et
retournai chez moi par le même portillon qui m’avait servi à transgresser la
règle.
Quand il
eut disparu, je décidai de repasser le portillon, elles avaient compris que je
ne voulais que les regarder. Elles décidèrent de me rejoindre, j’en fus étonnée
car je n’avais aucune habitude de ces animaux, je ne savais comment m’y
prendre. Je commençai à claquer ma langue dans ma bouche comme je l’avais vu si
souvent faire par mes enfants lorsqu’ils montaient des poneys.
Elles
tendirent les oreilles avantageusement et progressèrent de plus en plus dans ma
direction sans empressement, sans peur non plus.
Je ne
remuai pas le moins du monde pour ne pas les effrayer. Cela sembla fonctionner
puisqu’elles parvinrent jusqu’à moi. Quant elles furent à quelques mètres de
moi, je tendis la main sans précipitation pour qu’elles me sentent et adoptent
toute liberté à mon égard. Ma fille m’avait expliqué qu’il fallait toujours
tendre la main pour que les chevaux puissent respirer notre odeur avant de
tenter autre chose.
Elles
respirèrent ma main ensemble, et tentèrent de saisir une hypothétique
nourriture avec leurs grosses lèvres, découvrant des dents énormes qui
m’auraient fait fuir auparavant. Je commençai à monter délicatement ma main sur
leur museau pour les caresser, elles ne cessèrent de lever le museau pour
essayer de happer de quoi manger.
Alors je repassai le portillon et
revins avec des morceaux de pain dur.
Je procédai comme précédemment,
j’avançai délicatement ma main droite, les laissai me sentir, puis leur
présentai leur gourmandise. De nouveau, leurs grosses babines m’impressionnèrent,
je sentis un chatouillement à l’intérieur de la main. Ça me fit rigoler.
Elles étaient belles mais mal
entretenues comme le pré dans lequel elles paissaient. Leur poil n’était jamais
brossé et les mouches s’en donnaient à cœur joie autour de leur corps torturé
par les piqûres des mouches plates. Magali m’avait expliqué que les mouches
plates piquaient les chevaux en les martyrisant, mais qu’on pouvait les enduire
d’un répulsif qui écartait les insectes.
Ceci dit, cela ne semblait pas
être une préoccupation du maître, qui cette fois-ci encore fit une apparition
fulgurante mais tacite. En effet, je suis peu impressionnable, ce genre
d’attitude n’a aucun impact sur moi.
Il dut s’en rendre compte car dès
le lendemain il était en train de poser du fil électrique autour du grillage,
je m’en inquiétai, alors il me hurla qu’il posait les fils pour ne pas qu’elles
endommagent mon grillage qui était bien rouillé et n’avait pas attendu la
présence de ces charmantes bêtes pour s’effondrer. Il était clair qu’il voulait
m’empêcher de les approcher. Pour quelle raison ? Peut-on trouver une
raison à la bêtise ?
Le
lendemain, mon fils, qui pratiquait le poney lui aussi, leur donna du pain dur,
le personnage en question passant près de là comme par hasard l’incendia.
Il revint quelques heures plus
tard pour s’excuser, mais je compris le pourquoi du comment quelques jours
après quand je le vis tenter de s’approcher de ses bêtes en beuglant alors
qu’elles s’en éloignaient.
En fait, lui qui était le
propriétaire ne savait pas s’en approcher, et il était jaloux que l’on pût y
parvenir.
Pourtant, autant mon fils était
habitué aux équidés, autant je ne l’étais pas et n’étais guère familiarisée
avec l’approche qu’il fallait avoir avec ces êtres qui à mon avis étaient dotés
d’une intelligence supérieure.
Je ne sais pas comment ni
pourquoi je les attirais, sans doute mon amour et mon respect inconditionnels
des animaux.
Il aurait dû être content que ses
voisins s’en satisfassent et s’entendissent si bien avec ce qu’ils auraient pu
considérer comme des intrus à côté de chez eux.
Les juments passaient tout leur
temps près du grillage car il y avait de l’ombre sous un arbrisseau, c’est du
moins l’explication que je me donnais. Alors je les approchais comme je
pouvais, entravée pour sûr par ce fil électrique malvenu, qui les empêchait
autant de me parler que moi de communiquer avec elles. Alors je décidai de les
rejoindre en me glissant sous le fil électrique.
Non, je n’avais pas peur d’être
électrocutée, de plus j’estimais que le jeu en valait la chandelle, alors que faire
du 12 volts dans le dos quand je pouvais caresser tendrement ces êtres venus
d’ailleurs ?
Je regardais avant chacune de ces
entreprises si le propriétaire n’était pas là, plus pour ne pas qu’il se venge
sur elles que par une réelle emprise qu’il aurait pu avoir sur mes émotions. Je
roulais dans l’herbe, salissant à chaque fois mes habits et elles approchaient
immédiatement, alors je me méfiais des sabots que je savais redoutables, et
bondissais systématiquement devant elles pour échapper à une éventuelle ruade.
D’une main, je leur distribuais
la friandise tant attendue, tandis que de l’autre je leur caressais les
museaux, geste affectueux auquel elles n’étaient pas vraiment accoutumées. Je
m’aventurais jusqu’à leur flanc, pour découvrir une peau frissonnante sous
l’effet de ma main bienveillante.
Depuis ces moments intimes je
n’eus plus de cesse qu’elles me murmurassent à l’oreille. C’est là que je
compris le titre du livre : « l’homme qui murmurait à l’oreille
des chevaux ».
En fait, ce n’est pas tant
l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux qu’un échange complaisant de
chacune des parties. Il est vrai que tout se passe à l’oreille, même si aucun
son n’est prononcé de part et d’autre.
Je n’aurai dorénavant plus peur
des chevaux. Les chevaux n’auront plus à me redouter.
…la superbe jument pi avait
disparu, il ne restait plus que la jument blanche, enfin si l’on peut dire
puisque sa robe n’était jamais nettoyée.
Elle devait se sentir bien seule
la pauvre. Je m’efforçai de lui rendre visite plus souvent pour lui éviter la
solitude. Chaque fois je procédai de la même façon, j’ouvrais le portillon qui
ne tenait plus que par un fil électrique tordu, je posais mes genoux dans
l’herbe, et je me couchais pour passer sous le fil, puis j’allais lui donner du
pain et la caresser, tentant de chasser les mouches qui ne cessaient de la
harceler, en particulier autour des yeux…
Je dus me faire hospitaliser,
Thierry vint me voir une fois avec son appareil photo; il me montra un
minuscule poulain à côté de la jument. Elle avait mis bas pendant mon absence.
Une immense émotion s’empara de moi. Comment ne pas craquer devant un bébé,
qu’il soit humain ou animal ?
Après mon séjour à l’hôpital, je
pus enfin découvrir la merveille dont elle avait accouché, c’était un étalon,
il avait une robe pi. Il suivait sa mère partout. Il la tétait. C’était
attendrissant !
Je les pris en photo une
multitude de fois.
Je tentai d’approcher le grillage
comme je le faisais auparavant, mais le poulain avait peur et sa mère le
rassurait. Je n’insistais pas, tendant quand même du pain dur à la mère pendant
que le petit s’abreuvait du lait nourricier.
Une fois, alors que la mère
grignotait le pain, le poulain s’aventura à respirer ma main, puis il avança
ses grosses lèvres et mordit dedans. Alors j’en profitai pour approcher l’autre
main de sa crinière soyeuse. Il ne
montra nulle crainte, alors je décidai d’aventurer ma main encore plus loin,
encore plus doucement, il se laissa faire. Je leur rendais visite
quotidiennement jusqu’au jour où je ne les ai plus vus, car terrassée par un
terrible accident, j’avais perdu momentanément l’usage d’une de mes jambes. Je
fus hospitalisée puis immobilisée sur un fauteuil, le fauteuil de la honte,
celui qui vous rappelle à chaque instant que vous ne pouvez pas remuer ne
serait-ce que la main sans déclencher tout un chapelet de douleurs dans la
jambe. Quant au moral, fixé par le destin au dossier de ce fauteuil, il tombait
inéluctablement au rythme des mouvements que je ne pouvais plus faire :
plus marcher, plus bouger le corps au risque de m’irradier toute mon enveloppe
corporelle qui devenait mon tortionnaire.
Pendant ce temps, mes compagnons
continuaient quotidiennement de s’approcher du grillage, je les apercevais
quand je parvenais à faire rouler mon fauteuil jusque sur la terrasse. Je
pleurais car je ne pouvais les caresser, une quinzaine de marches nous
séparant. Malgré tout, leur présence fidèle me réchauffait le cœur.
Pendant plus de deux mois j’ai été
confinée dans ma maison sans pouvoir sortir sans aide à cause de ces quinze marches à descendre et à remonter.
Plâtrée, puis immobilisée sous attelle, ma jambe ne pouvait que se laisser
balancer en l’air au gré des cannes anglaises ou du fauteuil. Impossible
d’aller dire bonjour à mes voisins.
Un après-midi, je m’étais
réveillée d’un sommeil profond accentué par une douleur intense à la jambe, et
j’ai entendu mon chien aboyer comme un
malade vers le pré, je savais qu’ils étaient là à m’attendre. Cette fois-là, libérée
de l’attelle mais souffrant abondamment, j’ai décidé de descendre les marches
dégelées en me cramponnant d’une main à la rampe et de l’autre à la canne, je
suis descendue en chaussons dans la boue,…ils étaient là immobiles, les yeux
rivés sur moi, pendant que mon chien s’excitait sur eux.
Lorsque je suis parvenue au
grillage, j’ai incliné mon corps pour pouvoir caresser leur museau et ils m’ont
parlé doucement, délicatement, m’encourageant.
J’ai alors sorti de ma poche deux gros morceaux de pain dur et
ai tendu un morceau à la mère, j’ai vu que le poulain tétait sa mère, c’était
merveilleux, grandiose. Quand il a été repu du lait maternel, il s’est avancé
vers moi et a croqué le morceau de pain que je lui ai tendu.
Ils ne m’avaient jamais oubliée malgré mes longues semaines
d’absence.
Ils ont touché mon cœur et mon corps tuméfié, je ne les avais
jamais laissé tomber, eux non plus.
Le pré à
côté de chez moi
Il était jadis peuplé
d’eucalyptus et plein de broussailles. Les eucalyptus, c’est joli et en
plus ça sent bon ; je les regardais de loin, de haut ; les eucalyptus
peuvent atteindre des dizaines de mètres ; je m’imaginais des tribus entières
de koalas amassés dans les branches et je humais l’air, pensant pouvoir sentir l’effluve
frais et délicieux délivré par leur essence.
Je
m’émerveilllais de la splendeur de ce
ces arbres qui ployaient sous les assauts des vents ; ici c’est le vent
d’autan qui souffle, un vent qui vient du sud et qui a la réputation de rendre
fou, mais j’étais désespérée par le manque d’attention prodiguée à leur
environnement.
Les ronces
faisaient concurrence aux buissons épineux; le chaos peuplait ce champ non
cultivé. Les arbres n’étaient pas taillés, ils ne s’en portaient pas plus mal
d’ailleurs, j’aimais le charme exotique de cette verdure plaisante.
Un jour, en
rentrant de vacances, nous avons retrouvé cet immense pré complètement calciné,
les arbres noircis, l’herbe totalement brûlée, un véritable spectacle de
désolation ; les flammes s’étaient arrêtées à quelques mètres de notre
maison, laissant prévoir un désastre rétrospectif évité de justesse.
Il ne restait plus que quelques
arbrisseaux épais qui avaient échappé au désastre. Trois casernes de pompiers
avaient été dépêchées, ce qui en disait long sur la dangerosité de l’événement.
Les flammes atteignaient vingt mètres de haut, avait-on lu plus tard dans le
journal.
Les eucalyptus avaient
pratiquement tous brûlé mis à part une dizaine de spécimens, mais les
broussailles, elles, étaient restées, toujours aussi vivantes et épineuses.
Le soleil
frappait fort à cette période de l’année, c’était manifestement dangereux, je
guettais alors la moindre étincelle, le moindre scintillement qui aurait pu
marquer le démarrage d’une nouvelle catastrophe incendiaire.
J’avais
peur de quitter la maison ;je revenais bien vite pour m’assurer que la maison
était toujours en place. La cuve à mazout est située de ce côté de l’habitation
ce qui m’incitait à être prudente.
Ce pré ne présentait plus
d’attrait à mes yeux, je m’en désintéressai autant qu’il m’avait fait rêver
autrefois.
Autour de moi, des maisons, du
grillage et des ronces, même plus une fleur, toutes piétinées par les assauts
du feu.
J’en pleurais d’amertume et de frustration. Là où
jadis mon imaginaire gambadait me faisant croire que je me trouvais en
Australie, la dévastation l’avait emporté laissant mon esprit en détresse et à
la dérive.
Ce pré demeura comme ça, dénué de
vie et d’intérêt pendant des années. Je ne le regardais même plus.
Un jour, j’aperçus une tache marron
qui se déplaçait au milieu. Vu que
l’herbe était haute et l’étendue vaste, il m’était impossible de distinguer
exactement ce que c’était.
Je m’approchai alors du grillage
rouillé qui jouxtait la maison, et cette tache devint plus distincte alors
qu’elle se mouvait dans diverses directions.
Je fus intriguée, et essayai de
mieux entrevoir, alors j’aperçus une seconde tache blanche qui s’approchait de
la première.
« Tiens, des
vaches ? » pensai-je immédiatement.
Comme nous avons un portillon qui
donne sur ce pré, puisqu’une longe de terre de l’autre côté du grillage nous
appartient, je l’ouvris et progressai délicatement à travers les hautes herbes,
enjambant les ronces et les rocailles. Alors que je m’acheminai, les taches se
précisèrent,…c’était des chevaux !
Deux
superbes chevaux, un de trait et l’autre aux jambes fines. Le cheval de trait
était paré d’une robe blanche peu entretenue et celui aux jambes fines avait
une robe pi brun foncé. J’avais toujours eu peur des chevaux, allez savoir
pourquoi.
La
splendeur de leur âme m’attira vers eux, ils en firent de même. De nulle part apparut
le fils du berger qui m’éructa un flot de paroles que je compris comme
m’interdisant de les approcher.
Allons
bon ! Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? C’est vrai, il ne m’adresse
la parole que pour me demander de l’aide, emmener son chien chez le vétérinaire
ou pour grommeler on ne sait quoi. A se demander s’il sait parler.
Il tenta dans son sabir de me
faire comprendre : « pas touche, elles sont à moi ! »
Je
n’avais pas l’intention de leur faire du mal, bien au contraire. Ah bon, ce
sont des femelles ?
Sur ce, je tournai les talons et
retournai chez moi par le même portillon qui m’avait servi à transgresser la
règle.
Quand il
eut disparu, je décidai de repasser le portillon, elles avaient compris que je
ne voulais que les regarder. Elles décidèrent de me rejoindre, j’en fus étonnée
car je n’avais aucune habitude de ces animaux, je ne savais comment m’y
prendre. Je commençai à claquer ma langue dans ma bouche comme je l’avais vu si
souvent faire par mes enfants lorsqu’ils montaient des poneys.
Elles
tendirent les oreilles avantageusement et progressèrent de plus en plus dans ma
direction sans empressement, sans peur non plus.
Je ne
remuai pas le moins du monde pour ne pas les effrayer. Cela sembla fonctionner
puisqu’elles parvinrent jusqu’à moi. Quant elles furent à quelques mètres de
moi, je tendis la main sans précipitation pour qu’elles me sentent et adoptent
toute liberté à mon égard. Ma fille m’avait expliqué qu’il fallait toujours
tendre la main pour que les chevaux puissent respirer notre odeur avant de
tenter autre chose.
Elles
respirèrent ma main ensemble, et tentèrent de saisir une hypothétique
nourriture avec leurs grosses lèvres, découvrant des dents énormes qui
m’auraient fait fuir auparavant. Je commençai à monter délicatement ma main sur
leur museau pour les caresser, elles ne cessèrent de lever le museau pour
essayer de happer de quoi manger.
Alors je repassai le portillon et
revins avec des morceaux de pain dur.
Je procédai comme précédemment,
j’avançai délicatement ma main droite, les laissai me sentir, puis leur
présentai leur gourmandise. De nouveau, leurs grosses babines m’impressionnèrent,
je sentis un chatouillement à l’intérieur de la main. Ça me fit rigoler.
Elles étaient belles mais mal
entretenues comme le pré dans lequel elles paissaient. Leur poil n’était jamais
brossé et les mouches s’en donnaient à cœur joie autour de leur corps torturé
par les piqûres des mouches plates. Magali m’avait expliqué que les mouches
plates piquaient les chevaux en les martyrisant, mais qu’on pouvait les enduire
d’un répulsif qui écartait les insectes.
Ceci dit, cela ne semblait pas
être une préoccupation du maître, qui cette fois-ci encore fit une apparition
fulgurante mais tacite. En effet, je suis peu impressionnable, ce genre
d’attitude n’a aucun impact sur moi.
Il dut s’en rendre compte car dès
le lendemain il était en train de poser du fil électrique autour du grillage,
je m’en inquiétai, alors il me hurla qu’il posait les fils pour ne pas qu’elles
endommagent mon grillage qui était bien rouillé et n’avait pas attendu la
présence de ces charmantes bêtes pour s’effondrer. Il était clair qu’il voulait
m’empêcher de les approcher. Pour quelle raison ? Peut-on trouver une
raison à la bêtise ?
Le
lendemain, mon fils, qui pratiquait le poney lui aussi, leur donna du pain dur,
le personnage en question passant près de là comme par hasard l’incendia.
Il revint quelques heures plus
tard pour s’excuser, mais je compris le pourquoi du comment quelques jours
après quand je le vis tenter de s’approcher de ses bêtes en beuglant alors
qu’elles s’en éloignaient.
En fait, lui qui était le
propriétaire ne savait pas s’en approcher, et il était jaloux que l’on pût y
parvenir.
Pourtant, autant mon fils était
habitué aux équidés, autant je ne l’étais pas et n’étais guère familiarisée
avec l’approche qu’il fallait avoir avec ces êtres qui à mon avis étaient dotés
d’une intelligence supérieure.
Je ne sais pas comment ni
pourquoi je les attirais, sans doute mon amour et mon respect inconditionnels
des animaux.
Il aurait dû être content que ses
voisins s’en satisfassent et s’entendissent si bien avec ce qu’ils auraient pu
considérer comme des intrus à côté de chez eux.
Les juments passaient tout leur
temps près du grillage car il y avait de l’ombre sous un arbrisseau, c’est du
moins l’explication que je me donnais. Alors je les approchais comme je
pouvais, entravée pour sûr par ce fil électrique malvenu, qui les empêchait
autant de me parler que moi de communiquer avec elles. Alors je décidai de les
rejoindre en me glissant sous le fil électrique.
Non, je n’avais pas peur d’être
électrocutée, de plus j’estimais que le jeu en valait la chandelle, alors que faire
du 12 volts dans le dos quand je pouvais caresser tendrement ces êtres venus
d’ailleurs ?
Je regardais avant chacune de ces
entreprises si le propriétaire n’était pas là, plus pour ne pas qu’il se venge
sur elles que par une réelle emprise qu’il aurait pu avoir sur mes émotions. Je
roulais dans l’herbe, salissant à chaque fois mes habits et elles approchaient
immédiatement, alors je me méfiais des sabots que je savais redoutables, et
bondissais systématiquement devant elles pour échapper à une éventuelle ruade.
D’une main, je leur distribuais
la friandise tant attendue, tandis que de l’autre je leur caressais les
museaux, geste affectueux auquel elles n’étaient pas vraiment accoutumées. Je
m’aventurais jusqu’à leur flanc, pour découvrir une peau frissonnante sous
l’effet de ma main bienveillante.
Depuis ces moments intimes je
n’eus plus de cesse qu’elles me murmurassent à l’oreille. C’est là que je
compris le titre du livre : « l’homme qui murmurait à l’oreille
des chevaux ».
En fait, ce n’est pas tant
l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux qu’un échange complaisant de
chacune des parties. Il est vrai que tout se passe à l’oreille, même si aucun
son n’est prononcé de part et d’autre.
Je n’aurai dorénavant plus peur
des chevaux. Les chevaux n’auront plus à me redouter.
…la superbe jument pi avait
disparu, il ne restait plus que la jument blanche, enfin si l’on peut dire
puisque sa robe n’était jamais nettoyée.
Elle devait se sentir bien seule
la pauvre. Je m’efforçai de lui rendre visite plus souvent pour lui éviter la
solitude. Chaque fois je procédai de la même façon, j’ouvrais le portillon qui
ne tenait plus que par un fil électrique tordu, je posais mes genoux dans
l’herbe, et je me couchais pour passer sous le fil, puis j’allais lui donner du
pain et la caresser, tentant de chasser les mouches qui ne cessaient de la
harceler, en particulier autour des yeux…
Je dus me faire hospitaliser,
Thierry vint me voir une fois avec son appareil photo; il me montra un
minuscule poulain à côté de la jument. Elle avait mis bas pendant mon absence.
Une immense émotion s’empara de moi. Comment ne pas craquer devant un bébé,
qu’il soit humain ou animal ?
Après mon séjour à l’hôpital, je
pus enfin découvrir la merveille dont elle avait accouché, c’était un étalon,
il avait une robe pi. Il suivait sa mère partout. Il la tétait. C’était
attendrissant !
Je les pris en photo une
multitude de fois.
Je tentai d’approcher le grillage
comme je le faisais auparavant, mais le poulain avait peur et sa mère le
rassurait. Je n’insistais pas, tendant quand même du pain dur à la mère pendant
que le petit s’abreuvait du lait nourricier.
Une fois, alors que la mère
grignotait le pain, le poulain s’aventura à respirer ma main, puis il avança
ses grosses lèvres et mordit dedans. Alors j’en profitai pour approcher l’autre
main de sa crinière soyeuse. Il ne
montra nulle crainte, alors je décidai d’aventurer ma main encore plus loin,
encore plus doucement, il se laissa faire. Je leur rendais visite
quotidiennement jusqu’au jour où je ne les ai plus vus, car terrassée par un
terrible accident, j’avais perdu momentanément l’usage d’une de mes jambes. Je
fus hospitalisée puis immobilisée sur un fauteuil, le fauteuil de la honte,
celui qui vous rappelle à chaque instant que vous ne pouvez pas remuer ne
serait-ce que la main sans déclencher tout un chapelet de douleurs dans la
jambe. Quant au moral, fixé par le destin au dossier de ce fauteuil, il tombait
inéluctablement au rythme des mouvements que je ne pouvais plus faire :
plus marcher, plus bouger le corps au risque de m’irradier toute mon enveloppe
corporelle qui devenait mon tortionnaire.
Pendant ce temps, mes compagnons
continuaient quotidiennement de s’approcher du grillage, je les apercevais
quand je parvenais à faire rouler mon fauteuil jusque sur la terrasse. Je
pleurais car je ne pouvais les caresser, une quinzaine de marches nous
séparant. Malgré tout, leur présence fidèle me réchauffait le cœur.
Pendant plus de deux mois j’ai été
confinée dans ma maison sans pouvoir sortir sans aide à cause de ces quinze marches à descendre et à remonter.
Plâtrée, puis immobilisée sous attelle, ma jambe ne pouvait que se laisser
balancer en l’air au gré des cannes anglaises ou du fauteuil. Impossible
d’aller dire bonjour à mes voisins.
Un après-midi, je m’étais
réveillée d’un sommeil profond accentué par une douleur intense à la jambe, et
j’ai entendu mon chien aboyer comme un
malade vers le pré, je savais qu’ils étaient là à m’attendre. Cette fois-là, libérée
de l’attelle mais souffrant abondamment, j’ai décidé de descendre les marches
dégelées en me cramponnant d’une main à la rampe et de l’autre à la canne, je
suis descendue en chaussons dans la boue,…ils étaient là immobiles, les yeux
rivés sur moi, pendant que mon chien s’excitait sur eux.
Lorsque je suis parvenue au
grillage, j’ai incliné mon corps pour pouvoir caresser leur museau et ils m’ont
parlé doucement, délicatement, m’encourageant.
J’ai alors sorti de ma poche deux gros morceaux de pain dur et
ai tendu un morceau à la mère, j’ai vu que le poulain tétait sa mère, c’était
merveilleux, grandiose. Quand il a été repu du lait maternel, il s’est avancé
vers moi et a croqué le morceau de pain que je lui ai tendu.
Ils ne m’avaient jamais oubliée malgré mes longues semaines
d’absence.
Ils ont touché mon cœur et mon corps tuméfié, je ne les avais
jamais laissé tomber, eux non plus.
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