Le trésor
Ce
matin la campagne était belle recouverte de son manteau de blancheur ; eh
oui ! C’était l’hiver, et le soleil pâle de l’automne avait disparu, les
feuilles jaunies étaient toutes tombées. Elle décida d’aller faire un tour avec
son chien Tobby. Elle enfila ses bottes en caoutchouc et son blouson, puis
partit. Au loin les montagnes découpaient l’horizon de leurs pics flambants. La
rosée avait déposé ses perles luisantes sur les herbes parsemées.
Ses bottes
émettaient un craquellement à chaque pas qui fendait le gel ; elle
recevait le vent glacé du matin en pleine face ; son chien batifolait
autour d’elle, reniflant autour des buissons, laissant derrière lui des
empreintes profondes.
Elle se sentait en
forme, ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas pu se lever, terrassée par la
grippe. Elle avait passé le plus clair de son temps au lit ces derniers temps.
La fièvre était enfin tombée, laissant place à une chaleur bienfaisante. Les
courbatures qui avaient cassé ses membres endoloris avaient totalement disparu.
Elle remua les
bras et les jambes, fit des tourniquets, s’étira pour détendre ses
articulations ; elle toucha ses orteils avec ses doigts.
Quand elle se
releva, le chien avait disparu.
« Où est-il
encore allé se fourrer ? », s’exclama –t-elle puis elle
l’appela : « Tobby, Tobby » et enfin elle le siffla.
D’habitude il
apparaissait au sifflement qu’il entendait mieux, mais là il demeurait
invisible ; ses dernières traces de pattes avaient été recouvertes par la
neige fine du matin. Elle décida d’aller par un petit chemin qu’elle ne
connaissait pas, et alterna les appels et les sifflements, rien n’y fit. Elle
continua le chemin pendant plusieurs heures quand elle vit se détacher un petit
chalet d’où s’échappait une douce odeur parfumée de fumée. Elle se dirigea vers
le chalet et entendit des jappements à l’intérieur.
« Mince, il
est entré là-dedans, quel culot », pensa-t-elle. Elle était gênée, elle
n’aimait pas déranger les gens. Elle frappa à la lourde porte de bois, personne
ne répondit, elle décida alors de pousser la porte délicatement, elle s’ouvrit
toute grande laissant apparaître un homme d’une soixantaine d’années, de petite
taille qui la reçut avec le sourire mais ne répondit pas à ses salutations. Il
lui fit signe de l’attendre puis lui tendit un stylo et un bloc de papier; quand
il lui montra ses oreilles elle comprit qu’il était sourd. Il parvenait tout de
même à articuler quelques sons qui, mis bout à bout formaient des phrases à peu
près intelligibles. Elle comprit que sa surdité était apparue suite au choc
provoqué par la mort de sa mère.
Il la pria de s’asseoir, Tobby se
précipita vers elle.
« Méchant
chien, pourquoi es-tu parti comme ça ? »
Il lui fit signe
de ne pas le gronder et lui écrivit qu’il l’avait guidée jusqu’à lui.
Il lui écrivit son
nom : Thomas et lui demanda le sien : Corinne.
Thomas ne s’était
pas rendu compte que le volume de sa télévision était à fond. Elle se leva
quand il eut le dos tourné pour tourner le bouton.
Il lui offrit une
tasse de thé qu’elle accepta avec plaisir vu qu’elle était gelée.
Elle détailla des
yeux l’intérieur du chalet, il était agréable, joliment décoré, comme si une
main féminine y avait arrangé les choses. Sur une étagère elle remarqua une
Vierge miniature et au-dessus du canapé un crucifix décoré d’une branche de
buis.
Bon, elle
connaissait au moins ça de lui.
Il s’assit en face
d’elle et lui parla d’un trésor qu’il avait enfoui dans son jardin étant gamin.
Il ne savait plus où il était mais il se souvenait qu’il avait un prix
inestimable. Il lui demanda de l’aider à le retrouver. Approchant de sa main
une pelle. Elle lui fit comprendre qu’il lui semblait difficile de creuser par
un temps pareil mais lui promit de revenir quand le temps serait plus clément.
« Non, non,
il faut creuser tout de suite et tu seras récompensée », lui fit-il
comprendre. Elle n’avait pas du tout envie de creuser, et pensa qu’il était
peut-être un peu dérangé de la tête. Elle se leva et le remercia pour son
accueil ; elle s’excusa encore pour
l’intrusion de son chien. Il lui répondit qu’elle pouvait venir quand elle
voulait, qu’elle n’avait qu’à suivre son chien.
« Suivre mon
chien ? !!! » Elle resta intriguée.
Lorsque elle sortit du chalet, Tobby
refusa de la suivre, couina et gémit, elle dut lui passer la laisse au collier
et l’emmener de force, puis salua Thomas de la main. Tobby ne cessait de se
retourner et de tenter de faire demi-tour.
Lorsqu’elle arriva
chez elle, elle s’assura que Tobby ne ressortirait pas et se prépara du café.
Le thé de Thomas l’avait bien réchauffée mais il lui avait fallu plusieurs
heures pour rentrer. Ce petit homme l’avait émue, il y avait quelque chose de
magique en lui. Elle jeta un coup d’œil dehors, leurs traces de pas avaient
disparu.
Plusieurs jours plus tard, le chien
profita d’un instant de distraction de sa maîtresse pour lui échapper à
nouveau, il cavala à travers la neige laissant d’imposantes traces de son
passage. Une pensée folle effleura son esprit : « Un
trésor ? », et pourquoi pas si ça lui fait plaisir que je creuse,
j’aurai au moins fait ça pour lui.
Lorsqu’elle
récupéra Tobby, il avait la truffe et les griffes pleines de terre comme s’il
avait creusé.
Elle pensa à ce
vieil homme tout seul dans son chalet, loin de tout et de tout le monde. Elle
décida d’aller lui rendre visite.
Le lendemain,
d’épais flocons commençaient à ternir le ciel.
« Brr, pas
encourageant ce temps », pensa-t-elle en enfilant ses gants, « mais
il faut que j’aille le voir, il a peut-être besoin de quelque chose, »,
cette fois-ci, elle chaussa ses skis, il devait y avoir à peu près cinq
kilomètres, enfila des biscuits, du chocolat et des brioches pour Thomas dans
son sac à dos et…elle suivit son chien.
Comme elle avait
appris à skier très jeune, elle progressa assez vite malgré la bise mordante.
Au bout d’une heure et beaucoup de suées, elle aperçut la fumée qui s’échappait
de la cheminée. Tobby la dépassa et s’assit sur le seuil de la maison, elle
n’eut pas le temps de frapper que la porte s’ouvrit sur Thomas toujours
avenant. Elle regarda au-dessus de la porte et découvrit une cellule photoélectrique
lumineuse : c’était donc comme ça qu’il détectait une présence près de sa
porte.
Comme la fois
précédente, il lui offrit une tasse de thé et elle lui tendit les provisions,
son visage s’illumina d’un sourire. Il partit à la cuisine pour y déposer les
provisions puis revint en traînant ses grosses pantoufles.
Il prit la pelle
et la tendit à son hôte. Quand elle lui demanda ce qu’était ce trésor, il lui
répondit qu’il ne s’en souvenait plus, que le deuil avait effacé sa mémoire,
mais qu’il se souvenait quand même que c’était quelque chose de très précieux
et qu’il fallait absolument qu’il le retrouve.
« Je suis
trop vieux pour creuser », lui écrivit-il, « il faut que quelqu’un le
retrouve pour moi ».
Elle acquiesça de
la tête,et pour lui faire plaisir, prit la pelle et tenta de creuser. La pelle
cognait contre la terre gelée, mais n’arrivait pas à la pénétrer. Elle essaya
en divers endroits laissant à peine la trace du tranchant de la pelle.
Il la prit par la
manche et l’entraîna à l’intérieur. Là il commença à lui raconter sa vie :
Il avait perdu son père très jeune et vivait seul avec sa mère dans ce
chalet ; il y avait cinq ans, une pneumonie l’avait emportée subitement,
alors il s’était retrouvé tout seul, sourd et retranché du monde. Une pensée
l’obséda alors : retrouver son trésor caché. Il aperçut un soupçon de
tristesse sur son visage, alors il lui demanda si elle aimait la musique.
« Oh, oui,
beaucoup », répondit-elle avec entrain.
Il farfouilla dans
un placard et en sortit une énorme caisse. Il l’ouvrit, souffla sur la
poussière et en sortit un grand accordéon, un piano accordéon. Les touches de
la mélodie sont des touches de piano, celles des accords sont des touches
d’accordéon. Il joua plusieurs morceaux du répertoire traditionnel qu’il
réussit merveilleusement. Elle applaudit avec entrain et lui demanda comment il
faisait puisqu’il n’entendait pas ce qu’il jouait ; il lui rétorqua que
les automatismes des doigts étaient tellement ancrés en lui qu’il ne les avait
pas oubliés.
Il était temps
pour Corinne de repartir, elle prit alors congé ; en lui serrant la main,
il lui articula : « reviens quand tu veux, tu n’auras qu’à suivre le
chien ».
Elle avait beau
s’y attendre, elle resta quand même coite.
En effet,
fréquemment pendant la saison hivernale, elle retourna le voir, le sac rempli
de friandises, le chien la devançant.
A chaque fois, il
lui offrait une tasse de thé puis lui présentait la pelle, et enfin, lui jouait
de l’accordéon. A l’insu de la jeune femme, ces visites régulières étaient
devenues une partie de plaisir.
Bientôt le
printemps permit de creuser un peu la terre attendrie par le soleil, et elle
laissait à chaque fois plusieurs trous derrière elle. Dorénavant elle le
faisait avec beaucoup d’amour et d’entrain, mais elle ne trouvait jamais rien,
elle le savait, il n’y avait rien d’enseveli.
Un jour, Tobby s’élança d’un coup et
cavala jusqu’au chalet sans lui laisser le temps de le suivre. Elle l’entendit
hurler à la mort, il était assis sur le perron et hurlait. Elle crut d’abord
que son chien s’était blessé, elle l’examina et comprit finalement que c’était
à Thomas qu’il était arrivé quelque chose.
Elle poussa la
lourde porte de bois, regarda un peu partout mais ne vit personne. Alors elle
regarda autour du chalet, examina le terrain transformé en champ de mines,
toujours personne.
Elle rebroussa
chemin ; en route, elle fit un détour pour acheter le journal, elle
s’assit chez elle et commença à le feuilleter : une annonce attira son
regard dans la rubrique nécrologique : Thomas y figurait. Elle s’effondra,
elle n’avait même pas eu le temps de lui dire combien elle l’appréciait.
Les obsèques
eurent lieu le lendemain. Elle fut surprise de voir autant de monde, le croyant
totalement seul.
A la sortie de
l’église, une femme voilée et habillée de noir s’approcha d’elle :
« C’est vous,
Corinne ?
-Oui,
pourquoi ?
-Il a laissé ça
pour vous. »et elle lui tendit une lettre soigneusement enfermée dans une
enveloppe.
« Mais qui
sont tous ces gens ?
-De la famille, des amis, Thomas était très entouré.
-Mais il était
toujours seul quand j’allais le voir !
-Oui, je sais, et
il vous demandait de creuser pour trouver un trésor .
-Oui mais
comment…. ? »,la femme avait déjà tourné les talons et disparu.
Interloquée, Corinne
ouvrit l’enveloppe avec douceur et reconnut l’écriture tremblotante de Thomas
sur une feuille de papier à lettre ; des larmes longtemps contenues
s’échappèrent, elle lut :
« Ma chère
Corinne, tu as rempli de joie mes derniers jours. Ne pleure pas, je savais que
j’allais bientôt mourir, c’est pour ça que je t’ai attirée chez moi. Le Père me
rappelle à lui et c’est très bien ainsi, je vais rejoindre ma mère tant aimée.
Je pense que tu avais compris depuis longtemps que ça ne servait à rien de
creuser, que tu ne trouverais rien dans la terre… », elle hocha la tête en
laissant échapper un petit sourire. «… Je pense que tu as compris ce
qu’était mon trésor, sois bénie de m’avoir aidé à le préserver. Je te lègue mon
accordéon. »
Et sa lettre s’arrêtait
brutalement comme un trou que l’on n’a pas eu le temps de reboucher.
Ce
matin la campagne était belle recouverte de son manteau de blancheur ; eh
oui ! C’était l’hiver, et le soleil pâle de l’automne avait disparu, les
feuilles jaunies étaient toutes tombées. Elle décida d’aller faire un tour avec
son chien Tobby. Elle enfila ses bottes en caoutchouc et son blouson, puis
partit. Au loin les montagnes découpaient l’horizon de leurs pics flambants. La
rosée avait déposé ses perles luisantes sur les herbes parsemées.
Ses bottes
émettaient un craquellement à chaque pas qui fendait le gel ; elle
recevait le vent glacé du matin en pleine face ; son chien batifolait
autour d’elle, reniflant autour des buissons, laissant derrière lui des
empreintes profondes.
Elle se sentait en
forme, ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas pu se lever, terrassée par la
grippe. Elle avait passé le plus clair de son temps au lit ces derniers temps.
La fièvre était enfin tombée, laissant place à une chaleur bienfaisante. Les
courbatures qui avaient cassé ses membres endoloris avaient totalement disparu.
Elle remua les
bras et les jambes, fit des tourniquets, s’étira pour détendre ses
articulations ; elle toucha ses orteils avec ses doigts.
Quand elle se
releva, le chien avait disparu.
« Où est-il
encore allé se fourrer ? », s’exclama –t-elle puis elle
l’appela : « Tobby, Tobby » et enfin elle le siffla.
D’habitude il
apparaissait au sifflement qu’il entendait mieux, mais là il demeurait
invisible ; ses dernières traces de pattes avaient été recouvertes par la
neige fine du matin. Elle décida d’aller par un petit chemin qu’elle ne
connaissait pas, et alterna les appels et les sifflements, rien n’y fit. Elle
continua le chemin pendant plusieurs heures quand elle vit se détacher un petit
chalet d’où s’échappait une douce odeur parfumée de fumée. Elle se dirigea vers
le chalet et entendit des jappements à l’intérieur.
« Mince, il
est entré là-dedans, quel culot », pensa-t-elle. Elle était gênée, elle
n’aimait pas déranger les gens. Elle frappa à la lourde porte de bois, personne
ne répondit, elle décida alors de pousser la porte délicatement, elle s’ouvrit
toute grande laissant apparaître un homme d’une soixantaine d’années, de petite
taille qui la reçut avec le sourire mais ne répondit pas à ses salutations. Il
lui fit signe de l’attendre puis lui tendit un stylo et un bloc de papier; quand
il lui montra ses oreilles elle comprit qu’il était sourd. Il parvenait tout de
même à articuler quelques sons qui, mis bout à bout formaient des phrases à peu
près intelligibles. Elle comprit que sa surdité était apparue suite au choc
provoqué par la mort de sa mère.
Il la pria de s’asseoir, Tobby se
précipita vers elle.
« Méchant
chien, pourquoi es-tu parti comme ça ? »
Il lui fit signe
de ne pas le gronder et lui écrivit qu’il l’avait guidée jusqu’à lui.
Il lui écrivit son
nom : Thomas et lui demanda le sien : Corinne.
Thomas ne s’était
pas rendu compte que le volume de sa télévision était à fond. Elle se leva
quand il eut le dos tourné pour tourner le bouton.
Il lui offrit une
tasse de thé qu’elle accepta avec plaisir vu qu’elle était gelée.
Elle détailla des
yeux l’intérieur du chalet, il était agréable, joliment décoré, comme si une
main féminine y avait arrangé les choses. Sur une étagère elle remarqua une
Vierge miniature et au-dessus du canapé un crucifix décoré d’une branche de
buis.
Bon, elle
connaissait au moins ça de lui.
Il s’assit en face
d’elle et lui parla d’un trésor qu’il avait enfoui dans son jardin étant gamin.
Il ne savait plus où il était mais il se souvenait qu’il avait un prix
inestimable. Il lui demanda de l’aider à le retrouver. Approchant de sa main
une pelle. Elle lui fit comprendre qu’il lui semblait difficile de creuser par
un temps pareil mais lui promit de revenir quand le temps serait plus clément.
« Non, non,
il faut creuser tout de suite et tu seras récompensée », lui fit-il
comprendre. Elle n’avait pas du tout envie de creuser, et pensa qu’il était
peut-être un peu dérangé de la tête. Elle se leva et le remercia pour son
accueil ; elle s’excusa encore pour
l’intrusion de son chien. Il lui répondit qu’elle pouvait venir quand elle
voulait, qu’elle n’avait qu’à suivre son chien.
« Suivre mon
chien ? !!! » Elle resta intriguée.
Lorsque elle sortit du chalet, Tobby
refusa de la suivre, couina et gémit, elle dut lui passer la laisse au collier
et l’emmener de force, puis salua Thomas de la main. Tobby ne cessait de se
retourner et de tenter de faire demi-tour.
Lorsqu’elle arriva
chez elle, elle s’assura que Tobby ne ressortirait pas et se prépara du café.
Le thé de Thomas l’avait bien réchauffée mais il lui avait fallu plusieurs
heures pour rentrer. Ce petit homme l’avait émue, il y avait quelque chose de
magique en lui. Elle jeta un coup d’œil dehors, leurs traces de pas avaient
disparu.
Plusieurs jours plus tard, le chien
profita d’un instant de distraction de sa maîtresse pour lui échapper à
nouveau, il cavala à travers la neige laissant d’imposantes traces de son
passage. Une pensée folle effleura son esprit : « Un
trésor ? », et pourquoi pas si ça lui fait plaisir que je creuse,
j’aurai au moins fait ça pour lui.
Lorsqu’elle
récupéra Tobby, il avait la truffe et les griffes pleines de terre comme s’il
avait creusé.
Elle pensa à ce
vieil homme tout seul dans son chalet, loin de tout et de tout le monde. Elle
décida d’aller lui rendre visite.
Le lendemain,
d’épais flocons commençaient à ternir le ciel.
« Brr, pas
encourageant ce temps », pensa-t-elle en enfilant ses gants, « mais
il faut que j’aille le voir, il a peut-être besoin de quelque chose, »,
cette fois-ci, elle chaussa ses skis, il devait y avoir à peu près cinq
kilomètres, enfila des biscuits, du chocolat et des brioches pour Thomas dans
son sac à dos et…elle suivit son chien.
Comme elle avait
appris à skier très jeune, elle progressa assez vite malgré la bise mordante.
Au bout d’une heure et beaucoup de suées, elle aperçut la fumée qui s’échappait
de la cheminée. Tobby la dépassa et s’assit sur le seuil de la maison, elle
n’eut pas le temps de frapper que la porte s’ouvrit sur Thomas toujours
avenant. Elle regarda au-dessus de la porte et découvrit une cellule photoélectrique
lumineuse : c’était donc comme ça qu’il détectait une présence près de sa
porte.
Comme la fois
précédente, il lui offrit une tasse de thé et elle lui tendit les provisions,
son visage s’illumina d’un sourire. Il partit à la cuisine pour y déposer les
provisions puis revint en traînant ses grosses pantoufles.
Il prit la pelle
et la tendit à son hôte. Quand elle lui demanda ce qu’était ce trésor, il lui
répondit qu’il ne s’en souvenait plus, que le deuil avait effacé sa mémoire,
mais qu’il se souvenait quand même que c’était quelque chose de très précieux
et qu’il fallait absolument qu’il le retrouve.
« Je suis
trop vieux pour creuser », lui écrivit-il, « il faut que quelqu’un le
retrouve pour moi ».
Elle acquiesça de
la tête,et pour lui faire plaisir, prit la pelle et tenta de creuser. La pelle
cognait contre la terre gelée, mais n’arrivait pas à la pénétrer. Elle essaya
en divers endroits laissant à peine la trace du tranchant de la pelle.
Il la prit par la
manche et l’entraîna à l’intérieur. Là il commença à lui raconter sa vie :
Il avait perdu son père très jeune et vivait seul avec sa mère dans ce
chalet ; il y avait cinq ans, une pneumonie l’avait emportée subitement,
alors il s’était retrouvé tout seul, sourd et retranché du monde. Une pensée
l’obséda alors : retrouver son trésor caché. Il aperçut un soupçon de
tristesse sur son visage, alors il lui demanda si elle aimait la musique.
« Oh, oui,
beaucoup », répondit-elle avec entrain.
Il farfouilla dans
un placard et en sortit une énorme caisse. Il l’ouvrit, souffla sur la
poussière et en sortit un grand accordéon, un piano accordéon. Les touches de
la mélodie sont des touches de piano, celles des accords sont des touches
d’accordéon. Il joua plusieurs morceaux du répertoire traditionnel qu’il
réussit merveilleusement. Elle applaudit avec entrain et lui demanda comment il
faisait puisqu’il n’entendait pas ce qu’il jouait ; il lui rétorqua que
les automatismes des doigts étaient tellement ancrés en lui qu’il ne les avait
pas oubliés.
Il était temps
pour Corinne de repartir, elle prit alors congé ; en lui serrant la main,
il lui articula : « reviens quand tu veux, tu n’auras qu’à suivre le
chien ».
Elle avait beau
s’y attendre, elle resta quand même coite.
En effet,
fréquemment pendant la saison hivernale, elle retourna le voir, le sac rempli
de friandises, le chien la devançant.
A chaque fois, il
lui offrait une tasse de thé puis lui présentait la pelle, et enfin, lui jouait
de l’accordéon. A l’insu de la jeune femme, ces visites régulières étaient
devenues une partie de plaisir.
Bientôt le
printemps permit de creuser un peu la terre attendrie par le soleil, et elle
laissait à chaque fois plusieurs trous derrière elle. Dorénavant elle le
faisait avec beaucoup d’amour et d’entrain, mais elle ne trouvait jamais rien,
elle le savait, il n’y avait rien d’enseveli.
Un jour, Tobby s’élança d’un coup et
cavala jusqu’au chalet sans lui laisser le temps de le suivre. Elle l’entendit
hurler à la mort, il était assis sur le perron et hurlait. Elle crut d’abord
que son chien s’était blessé, elle l’examina et comprit finalement que c’était
à Thomas qu’il était arrivé quelque chose.
Elle poussa la
lourde porte de bois, regarda un peu partout mais ne vit personne. Alors elle
regarda autour du chalet, examina le terrain transformé en champ de mines,
toujours personne.
Elle rebroussa
chemin ; en route, elle fit un détour pour acheter le journal, elle
s’assit chez elle et commença à le feuilleter : une annonce attira son
regard dans la rubrique nécrologique : Thomas y figurait. Elle s’effondra,
elle n’avait même pas eu le temps de lui dire combien elle l’appréciait.
Les obsèques
eurent lieu le lendemain. Elle fut surprise de voir autant de monde, le croyant
totalement seul.
A la sortie de
l’église, une femme voilée et habillée de noir s’approcha d’elle :
« C’est vous,
Corinne ?
-Oui,
pourquoi ?
-Il a laissé ça
pour vous. »et elle lui tendit une lettre soigneusement enfermée dans une
enveloppe.
« Mais qui
sont tous ces gens ?
-De la famille, des amis, Thomas était très entouré.
-Mais il était
toujours seul quand j’allais le voir !
-Oui, je sais, et
il vous demandait de creuser pour trouver un trésor .
-Oui mais
comment…. ? »,la femme avait déjà tourné les talons et disparu.
Interloquée, Corinne
ouvrit l’enveloppe avec douceur et reconnut l’écriture tremblotante de Thomas
sur une feuille de papier à lettre ; des larmes longtemps contenues
s’échappèrent, elle lut :
« Ma chère
Corinne, tu as rempli de joie mes derniers jours. Ne pleure pas, je savais que
j’allais bientôt mourir, c’est pour ça que je t’ai attirée chez moi. Le Père me
rappelle à lui et c’est très bien ainsi, je vais rejoindre ma mère tant aimée.
Je pense que tu avais compris depuis longtemps que ça ne servait à rien de
creuser, que tu ne trouverais rien dans la terre… », elle hocha la tête en
laissant échapper un petit sourire. «… Je pense que tu as compris ce
qu’était mon trésor, sois bénie de m’avoir aidé à le préserver. Je te lègue mon
accordéon. »
Et sa lettre s’arrêtait
brutalement comme un trou que l’on n’a pas eu le temps de reboucher.