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    Le pré à côté de chez moi

    fraginfo
    fraginfo
    Admin


    Messages : 70
    Date d'inscription : 08/12/2010
    Age : 66
    Localisation : Montauban

    Le pré à côté de chez moi Empty Le pré à côté de chez moi

    Message par fraginfo Ven 14 Jan - 18:11

    Le pré à
    côté de chez moi



    Il était jadis peuplé
    d’eucalyptus et plein de broussailles. Les eucalyptus, c’est joli et en
    plus ça sent bon ; je les regardais de loin, de haut ; les eucalyptus
    peuvent atteindre des dizaines de mètres ; je m’imaginais des tribus entières
    de koalas amassés dans les branches et je humais l’air, pensant pouvoir sentir l’effluve
    frais et délicieux délivré par leur essence.



    Je
    m’émerveilllais de la splendeur de ce
    ces arbres qui ployaient sous les assauts des vents ; ici c’est le vent
    d’autan qui souffle, un vent qui vient du sud et qui a la réputation de rendre
    fou, mais j’étais désespérée par le manque d’attention prodiguée à leur
    environnement.



    Les ronces
    faisaient concurrence aux buissons épineux; le chaos peuplait ce champ non
    cultivé. Les arbres n’étaient pas taillés, ils ne s’en portaient pas plus mal
    d’ailleurs, j’aimais le charme exotique de cette verdure plaisante.



    Un jour, en
    rentrant de vacances, nous avons retrouvé cet immense pré complètement calciné,
    les arbres noircis, l’herbe totalement brûlée, un véritable spectacle de
    désolation ; les flammes s’étaient arrêtées à quelques mètres de notre
    maison, laissant prévoir un désastre rétrospectif évité de justesse.



    Il ne restait plus que quelques
    arbrisseaux épais qui avaient échappé au désastre. Trois casernes de pompiers
    avaient été dépêchées, ce qui en disait long sur la dangerosité de l’événement.
    Les flammes atteignaient vingt mètres de haut, avait-on lu plus tard dans le
    journal.



    Les eucalyptus avaient
    pratiquement tous brûlé mis à part une dizaine de spécimens, mais les
    broussailles, elles, étaient restées, toujours aussi vivantes et épineuses.



    Le soleil
    frappait fort à cette période de l’année, c’était manifestement dangereux, je
    guettais alors la moindre étincelle, le moindre scintillement qui aurait pu
    marquer le démarrage d’une nouvelle catastrophe incendiaire.



    J’avais
    peur de quitter la maison ;je revenais bien vite pour m’assurer que la maison
    était toujours en place. La cuve à mazout est située de ce côté de l’habitation
    ce qui m’incitait à être prudente.



    Ce pré ne présentait plus
    d’attrait à mes yeux, je m’en désintéressai autant qu’il m’avait fait rêver
    autrefois.



    Autour de moi, des maisons, du
    grillage et des ronces, même plus une fleur, toutes piétinées par les assauts
    du feu.



    J’en pleurais d’amertume et de frustration. Là où
    jadis mon imaginaire gambadait me faisant croire que je me trouvais en
    Australie, la dévastation l’avait emporté laissant mon esprit en détresse et à
    la dérive.



    Ce pré demeura comme ça, dénué de
    vie et d’intérêt pendant des années. Je ne le regardais même plus.



    Un jour, j’aperçus une tache marron
    qui se déplaçait au milieu. Vu que
    l’herbe était haute et l’étendue vaste, il m’était impossible de distinguer
    exactement ce que c’était.



    Je m’approchai alors du grillage
    rouillé qui jouxtait la maison, et cette tache devint plus distincte alors
    qu’elle se mouvait dans diverses directions.



    Je fus intriguée, et essayai de
    mieux entrevoir, alors j’aperçus une seconde tache blanche qui s’approchait de
    la première.



    « Tiens, des
    vaches ? » pensai-je immédiatement.



    Comme nous avons un portillon qui
    donne sur ce pré, puisqu’une longe de terre de l’autre côté du grillage nous
    appartient, je l’ouvris et progressai délicatement à travers les hautes herbes,
    enjambant les ronces et les rocailles. Alors que je m’acheminai, les taches se
    précisèrent,…c’était des chevaux !



    Deux
    superbes chevaux, un de trait et l’autre aux jambes fines. Le cheval de trait
    était paré d’une robe blanche peu entretenue et celui aux jambes fines avait
    une robe pi brun foncé. J’avais toujours eu peur des chevaux, allez savoir
    pourquoi.



    La
    splendeur de leur âme m’attira vers eux, ils en firent de même. De nulle part apparut
    le fils du berger qui m’éructa un flot de paroles que je compris comme
    m’interdisant de les approcher.



    Allons
    bon ! Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? C’est vrai, il ne m’adresse
    la parole que pour me demander de l’aide, emmener son chien chez le vétérinaire
    ou pour grommeler on ne sait quoi. A se demander s’il sait parler.



    Il tenta dans son sabir de me
    faire comprendre : « pas touche, elles sont à moi ! »



    Je
    n’avais pas l’intention de leur faire du mal, bien au contraire. Ah bon, ce
    sont des femelles ?



    Sur ce, je tournai les talons et
    retournai chez moi par le même portillon qui m’avait servi à transgresser la
    règle.



    Quand il
    eut disparu, je décidai de repasser le portillon, elles avaient compris que je
    ne voulais que les regarder. Elles décidèrent de me rejoindre, j’en fus étonnée
    car je n’avais aucune habitude de ces animaux, je ne savais comment m’y
    prendre. Je commençai à claquer ma langue dans ma bouche comme je l’avais vu si
    souvent faire par mes enfants lorsqu’ils montaient des poneys.



    Elles
    tendirent les oreilles avantageusement et progressèrent de plus en plus dans ma
    direction sans empressement, sans peur non plus.



    Je ne
    remuai pas le moins du monde pour ne pas les effrayer. Cela sembla fonctionner
    puisqu’elles parvinrent jusqu’à moi. Quant elles furent à quelques mètres de
    moi, je tendis la main sans précipitation pour qu’elles me sentent et adoptent
    toute liberté à mon égard. Ma fille m’avait expliqué qu’il fallait toujours
    tendre la main pour que les chevaux puissent respirer notre odeur avant de
    tenter autre chose.



    Elles
    respirèrent ma main ensemble, et tentèrent de saisir une hypothétique
    nourriture avec leurs grosses lèvres, découvrant des dents énormes qui
    m’auraient fait fuir auparavant. Je commençai à monter délicatement ma main sur
    leur museau pour les caresser, elles ne cessèrent de lever le museau pour
    essayer de happer de quoi manger.



    Alors je repassai le portillon et
    revins avec des morceaux de pain dur.



    Je procédai comme précédemment,
    j’avançai délicatement ma main droite, les laissai me sentir, puis leur
    présentai leur gourmandise. De nouveau, leurs grosses babines m’impressionnèrent,
    je sentis un chatouillement à l’intérieur de la main. Ça me fit rigoler.



    Elles étaient belles mais mal
    entretenues comme le pré dans lequel elles paissaient. Leur poil n’était jamais
    brossé et les mouches s’en donnaient à cœur joie autour de leur corps torturé
    par les piqûres des mouches plates. Magali m’avait expliqué que les mouches
    plates piquaient les chevaux en les martyrisant, mais qu’on pouvait les enduire
    d’un répulsif qui écartait les insectes.



    Ceci dit, cela ne semblait pas
    être une préoccupation du maître, qui cette fois-ci encore fit une apparition
    fulgurante mais tacite. En effet, je suis peu impressionnable, ce genre
    d’attitude n’a aucun impact sur moi.



    Il dut s’en rendre compte car dès
    le lendemain il était en train de poser du fil électrique autour du grillage,
    je m’en inquiétai, alors il me hurla qu’il posait les fils pour ne pas qu’elles
    endommagent mon grillage qui était bien rouillé et n’avait pas attendu la
    présence de ces charmantes bêtes pour s’effondrer. Il était clair qu’il voulait
    m’empêcher de les approcher. Pour quelle raison ? Peut-on trouver une
    raison à la bêtise ?



    Le
    lendemain, mon fils, qui pratiquait le poney lui aussi, leur donna du pain dur,
    le personnage en question passant près de là comme par hasard l’incendia.



    Il revint quelques heures plus
    tard pour s’excuser, mais je compris le pourquoi du comment quelques jours
    après quand je le vis tenter de s’approcher de ses bêtes en beuglant alors
    qu’elles s’en éloignaient.



    En fait, lui qui était le
    propriétaire ne savait pas s’en approcher, et il était jaloux que l’on pût y
    parvenir.



    Pourtant, autant mon fils était
    habitué aux équidés, autant je ne l’étais pas et n’étais guère familiarisée
    avec l’approche qu’il fallait avoir avec ces êtres qui à mon avis étaient dotés
    d’une intelligence supérieure.



    Je ne sais pas comment ni
    pourquoi je les attirais, sans doute mon amour et mon respect inconditionnels
    des animaux.



    Il aurait dû être content que ses
    voisins s’en satisfassent et s’entendissent si bien avec ce qu’ils auraient pu
    considérer comme des intrus à côté de chez eux.



    Les juments passaient tout leur
    temps près du grillage car il y avait de l’ombre sous un arbrisseau, c’est du
    moins l’explication que je me donnais. Alors je les approchais comme je
    pouvais, entravée pour sûr par ce fil électrique malvenu, qui les empêchait
    autant de me parler que moi de communiquer avec elles. Alors je décidai de les
    rejoindre en me glissant sous le fil électrique.



    Non, je n’avais pas peur d’être
    électrocutée, de plus j’estimais que le jeu en valait la chandelle, alors que faire
    du 12 volts dans le dos quand je pouvais caresser tendrement ces êtres venus
    d’ailleurs ?



    Je regardais avant chacune de ces
    entreprises si le propriétaire n’était pas là, plus pour ne pas qu’il se venge
    sur elles que par une réelle emprise qu’il aurait pu avoir sur mes émotions. Je
    roulais dans l’herbe, salissant à chaque fois mes habits et elles approchaient
    immédiatement, alors je me méfiais des sabots que je savais redoutables, et
    bondissais systématiquement devant elles pour échapper à une éventuelle ruade.



    D’une main, je leur distribuais
    la friandise tant attendue, tandis que de l’autre je leur caressais les
    museaux, geste affectueux auquel elles n’étaient pas vraiment accoutumées. Je
    m’aventurais jusqu’à leur flanc, pour découvrir une peau frissonnante sous
    l’effet de ma main bienveillante.



    Depuis ces moments intimes je
    n’eus plus de cesse qu’elles me murmurassent à l’oreille. C’est là que je
    compris le titre du livre : « l’homme qui murmurait à l’oreille
    des chevaux ».



    En fait, ce n’est pas tant
    l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux qu’un échange complaisant de
    chacune des parties. Il est vrai que tout se passe à l’oreille, même si aucun
    son n’est prononcé de part et d’autre.



    Je n’aurai dorénavant plus peur
    des chevaux. Les chevaux n’auront plus à me redouter.



    …la superbe jument pi avait
    disparu, il ne restait plus que la jument blanche, enfin si l’on peut dire
    puisque sa robe n’était jamais nettoyée.



    Elle devait se sentir bien seule
    la pauvre. Je m’efforçai de lui rendre visite plus souvent pour lui éviter la
    solitude. Chaque fois je procédai de la même façon, j’ouvrais le portillon qui
    ne tenait plus que par un fil électrique tordu, je posais mes genoux dans
    l’herbe, et je me couchais pour passer sous le fil, puis j’allais lui donner du
    pain et la caresser, tentant de chasser les mouches qui ne cessaient de la
    harceler, en particulier autour des yeux…



    Je dus me faire hospitaliser,
    Thierry vint me voir une fois avec son appareil photo; il me montra un
    minuscule poulain à côté de la jument. Elle avait mis bas pendant mon absence.
    Une immense émotion s’empara de moi. Comment ne pas craquer devant un bébé,
    qu’il soit humain ou animal ?



    Après mon séjour à l’hôpital, je
    pus enfin découvrir la merveille dont elle avait accouché, c’était un étalon,
    il avait une robe pi. Il suivait sa mère partout. Il la tétait. C’était
    attendrissant !



    Je les pris en photo une
    multitude de fois.



    Je tentai d’approcher le grillage
    comme je le faisais auparavant, mais le poulain avait peur et sa mère le
    rassurait. Je n’insistais pas, tendant quand même du pain dur à la mère pendant
    que le petit s’abreuvait du lait nourricier.



    Une fois, alors que la mère
    grignotait le pain, le poulain s’aventura à respirer ma main, puis il avança
    ses grosses lèvres et mordit dedans. Alors j’en profitai pour approcher l’autre
    main de sa crinière soyeuse. Il ne
    montra nulle crainte, alors je décidai d’aventurer ma main encore plus loin,
    encore plus doucement, il se laissa faire. Je leur rendais visite
    quotidiennement jusqu’au jour où je ne les ai plus vus, car terrassée par un
    terrible accident, j’avais perdu momentanément l’usage d’une de mes jambes. Je
    fus hospitalisée puis immobilisée sur un fauteuil, le fauteuil de la honte,
    celui qui vous rappelle à chaque instant que vous ne pouvez pas remuer ne
    serait-ce que la main sans déclencher tout un chapelet de douleurs dans la
    jambe. Quant au moral, fixé par le destin au dossier de ce fauteuil, il tombait
    inéluctablement au rythme des mouvements que je ne pouvais plus faire :
    plus marcher, plus bouger le corps au risque de m’irradier toute mon enveloppe
    corporelle qui devenait mon tortionnaire.



    Pendant ce temps, mes compagnons
    continuaient quotidiennement de s’approcher du grillage, je les apercevais
    quand je parvenais à faire rouler mon fauteuil jusque sur la terrasse. Je
    pleurais car je ne pouvais les caresser, une quinzaine de marches nous
    séparant. Malgré tout, leur présence fidèle me réchauffait le cœur.



    Pendant plus de deux mois j’ai été
    confinée dans ma maison sans pouvoir sortir sans aide à cause de ces quinze marches à descendre et à remonter.
    Plâtrée, puis immobilisée sous attelle, ma jambe ne pouvait que se laisser
    balancer en l’air au gré des cannes anglaises ou du fauteuil. Impossible
    d’aller dire bonjour à mes voisins.



    Un après-midi, je m’étais
    réveillée d’un sommeil profond accentué par une douleur intense à la jambe, et
    j’ai entendu mon chien aboyer comme un
    malade vers le pré, je savais qu’ils étaient là à m’attendre. Cette fois-là, libérée
    de l’attelle mais souffrant abondamment, j’ai décidé de descendre les marches
    dégelées en me cramponnant d’une main à la rampe et de l’autre à la canne, je
    suis descendue en chaussons dans la boue,…ils étaient là immobiles, les yeux
    rivés sur moi, pendant que mon chien s’excitait sur eux.



    Lorsque je suis parvenue au
    grillage, j’ai incliné mon corps pour pouvoir caresser leur museau et ils m’ont
    parlé doucement, délicatement, m’encourageant.



    J’ai alors sorti de ma poche deux gros morceaux de pain dur et
    ai tendu un morceau à la mère, j’ai vu que le poulain tétait sa mère, c’était
    merveilleux, grandiose. Quand il a été repu du lait maternel, il s’est avancé
    vers moi et a croqué le morceau de pain que je lui ai tendu.



    Ils ne m’avaient jamais oubliée malgré mes longues semaines
    d’absence.



    Ils ont touché mon cœur et mon corps tuméfié, je ne les avais
    jamais laissé tomber, eux non plus.

















    Le pré à
    côté de chez moi



    Il était jadis peuplé
    d’eucalyptus et plein de broussailles. Les eucalyptus, c’est joli et en
    plus ça sent bon ; je les regardais de loin, de haut ; les eucalyptus
    peuvent atteindre des dizaines de mètres ; je m’imaginais des tribus entières
    de koalas amassés dans les branches et je humais l’air, pensant pouvoir sentir l’effluve
    frais et délicieux délivré par leur essence.



    Je
    m’émerveilllais de la splendeur de ce
    ces arbres qui ployaient sous les assauts des vents ; ici c’est le vent
    d’autan qui souffle, un vent qui vient du sud et qui a la réputation de rendre
    fou, mais j’étais désespérée par le manque d’attention prodiguée à leur
    environnement.



    Les ronces
    faisaient concurrence aux buissons épineux; le chaos peuplait ce champ non
    cultivé. Les arbres n’étaient pas taillés, ils ne s’en portaient pas plus mal
    d’ailleurs, j’aimais le charme exotique de cette verdure plaisante.



    Un jour, en
    rentrant de vacances, nous avons retrouvé cet immense pré complètement calciné,
    les arbres noircis, l’herbe totalement brûlée, un véritable spectacle de
    désolation ; les flammes s’étaient arrêtées à quelques mètres de notre
    maison, laissant prévoir un désastre rétrospectif évité de justesse.



    Il ne restait plus que quelques
    arbrisseaux épais qui avaient échappé au désastre. Trois casernes de pompiers
    avaient été dépêchées, ce qui en disait long sur la dangerosité de l’événement.
    Les flammes atteignaient vingt mètres de haut, avait-on lu plus tard dans le
    journal.



    Les eucalyptus avaient
    pratiquement tous brûlé mis à part une dizaine de spécimens, mais les
    broussailles, elles, étaient restées, toujours aussi vivantes et épineuses.



    Le soleil
    frappait fort à cette période de l’année, c’était manifestement dangereux, je
    guettais alors la moindre étincelle, le moindre scintillement qui aurait pu
    marquer le démarrage d’une nouvelle catastrophe incendiaire.



    J’avais
    peur de quitter la maison ;je revenais bien vite pour m’assurer que la maison
    était toujours en place. La cuve à mazout est située de ce côté de l’habitation
    ce qui m’incitait à être prudente.



    Ce pré ne présentait plus
    d’attrait à mes yeux, je m’en désintéressai autant qu’il m’avait fait rêver
    autrefois.



    Autour de moi, des maisons, du
    grillage et des ronces, même plus une fleur, toutes piétinées par les assauts
    du feu.



    J’en pleurais d’amertume et de frustration. Là où
    jadis mon imaginaire gambadait me faisant croire que je me trouvais en
    Australie, la dévastation l’avait emporté laissant mon esprit en détresse et à
    la dérive.



    Ce pré demeura comme ça, dénué de
    vie et d’intérêt pendant des années. Je ne le regardais même plus.



    Un jour, j’aperçus une tache marron
    qui se déplaçait au milieu. Vu que
    l’herbe était haute et l’étendue vaste, il m’était impossible de distinguer
    exactement ce que c’était.



    Je m’approchai alors du grillage
    rouillé qui jouxtait la maison, et cette tache devint plus distincte alors
    qu’elle se mouvait dans diverses directions.



    Je fus intriguée, et essayai de
    mieux entrevoir, alors j’aperçus une seconde tache blanche qui s’approchait de
    la première.



    « Tiens, des
    vaches ? » pensai-je immédiatement.



    Comme nous avons un portillon qui
    donne sur ce pré, puisqu’une longe de terre de l’autre côté du grillage nous
    appartient, je l’ouvris et progressai délicatement à travers les hautes herbes,
    enjambant les ronces et les rocailles. Alors que je m’acheminai, les taches se
    précisèrent,…c’était des chevaux !



    Deux
    superbes chevaux, un de trait et l’autre aux jambes fines. Le cheval de trait
    était paré d’une robe blanche peu entretenue et celui aux jambes fines avait
    une robe pi brun foncé. J’avais toujours eu peur des chevaux, allez savoir
    pourquoi.



    La
    splendeur de leur âme m’attira vers eux, ils en firent de même. De nulle part apparut
    le fils du berger qui m’éructa un flot de paroles que je compris comme
    m’interdisant de les approcher.



    Allons
    bon ! Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? C’est vrai, il ne m’adresse
    la parole que pour me demander de l’aide, emmener son chien chez le vétérinaire
    ou pour grommeler on ne sait quoi. A se demander s’il sait parler.



    Il tenta dans son sabir de me
    faire comprendre : « pas touche, elles sont à moi ! »



    Je
    n’avais pas l’intention de leur faire du mal, bien au contraire. Ah bon, ce
    sont des femelles ?



    Sur ce, je tournai les talons et
    retournai chez moi par le même portillon qui m’avait servi à transgresser la
    règle.



    Quand il
    eut disparu, je décidai de repasser le portillon, elles avaient compris que je
    ne voulais que les regarder. Elles décidèrent de me rejoindre, j’en fus étonnée
    car je n’avais aucune habitude de ces animaux, je ne savais comment m’y
    prendre. Je commençai à claquer ma langue dans ma bouche comme je l’avais vu si
    souvent faire par mes enfants lorsqu’ils montaient des poneys.



    Elles
    tendirent les oreilles avantageusement et progressèrent de plus en plus dans ma
    direction sans empressement, sans peur non plus.



    Je ne
    remuai pas le moins du monde pour ne pas les effrayer. Cela sembla fonctionner
    puisqu’elles parvinrent jusqu’à moi. Quant elles furent à quelques mètres de
    moi, je tendis la main sans précipitation pour qu’elles me sentent et adoptent
    toute liberté à mon égard. Ma fille m’avait expliqué qu’il fallait toujours
    tendre la main pour que les chevaux puissent respirer notre odeur avant de
    tenter autre chose.



    Elles
    respirèrent ma main ensemble, et tentèrent de saisir une hypothétique
    nourriture avec leurs grosses lèvres, découvrant des dents énormes qui
    m’auraient fait fuir auparavant. Je commençai à monter délicatement ma main sur
    leur museau pour les caresser, elles ne cessèrent de lever le museau pour
    essayer de happer de quoi manger.



    Alors je repassai le portillon et
    revins avec des morceaux de pain dur.



    Je procédai comme précédemment,
    j’avançai délicatement ma main droite, les laissai me sentir, puis leur
    présentai leur gourmandise. De nouveau, leurs grosses babines m’impressionnèrent,
    je sentis un chatouillement à l’intérieur de la main. Ça me fit rigoler.



    Elles étaient belles mais mal
    entretenues comme le pré dans lequel elles paissaient. Leur poil n’était jamais
    brossé et les mouches s’en donnaient à cœur joie autour de leur corps torturé
    par les piqûres des mouches plates. Magali m’avait expliqué que les mouches
    plates piquaient les chevaux en les martyrisant, mais qu’on pouvait les enduire
    d’un répulsif qui écartait les insectes.



    Ceci dit, cela ne semblait pas
    être une préoccupation du maître, qui cette fois-ci encore fit une apparition
    fulgurante mais tacite. En effet, je suis peu impressionnable, ce genre
    d’attitude n’a aucun impact sur moi.



    Il dut s’en rendre compte car dès
    le lendemain il était en train de poser du fil électrique autour du grillage,
    je m’en inquiétai, alors il me hurla qu’il posait les fils pour ne pas qu’elles
    endommagent mon grillage qui était bien rouillé et n’avait pas attendu la
    présence de ces charmantes bêtes pour s’effondrer. Il était clair qu’il voulait
    m’empêcher de les approcher. Pour quelle raison ? Peut-on trouver une
    raison à la bêtise ?



    Le
    lendemain, mon fils, qui pratiquait le poney lui aussi, leur donna du pain dur,
    le personnage en question passant près de là comme par hasard l’incendia.



    Il revint quelques heures plus
    tard pour s’excuser, mais je compris le pourquoi du comment quelques jours
    après quand je le vis tenter de s’approcher de ses bêtes en beuglant alors
    qu’elles s’en éloignaient.



    En fait, lui qui était le
    propriétaire ne savait pas s’en approcher, et il était jaloux que l’on pût y
    parvenir.



    Pourtant, autant mon fils était
    habitué aux équidés, autant je ne l’étais pas et n’étais guère familiarisée
    avec l’approche qu’il fallait avoir avec ces êtres qui à mon avis étaient dotés
    d’une intelligence supérieure.



    Je ne sais pas comment ni
    pourquoi je les attirais, sans doute mon amour et mon respect inconditionnels
    des animaux.



    Il aurait dû être content que ses
    voisins s’en satisfassent et s’entendissent si bien avec ce qu’ils auraient pu
    considérer comme des intrus à côté de chez eux.



    Les juments passaient tout leur
    temps près du grillage car il y avait de l’ombre sous un arbrisseau, c’est du
    moins l’explication que je me donnais. Alors je les approchais comme je
    pouvais, entravée pour sûr par ce fil électrique malvenu, qui les empêchait
    autant de me parler que moi de communiquer avec elles. Alors je décidai de les
    rejoindre en me glissant sous le fil électrique.



    Non, je n’avais pas peur d’être
    électrocutée, de plus j’estimais que le jeu en valait la chandelle, alors que faire
    du 12 volts dans le dos quand je pouvais caresser tendrement ces êtres venus
    d’ailleurs ?



    Je regardais avant chacune de ces
    entreprises si le propriétaire n’était pas là, plus pour ne pas qu’il se venge
    sur elles que par une réelle emprise qu’il aurait pu avoir sur mes émotions. Je
    roulais dans l’herbe, salissant à chaque fois mes habits et elles approchaient
    immédiatement, alors je me méfiais des sabots que je savais redoutables, et
    bondissais systématiquement devant elles pour échapper à une éventuelle ruade.



    D’une main, je leur distribuais
    la friandise tant attendue, tandis que de l’autre je leur caressais les
    museaux, geste affectueux auquel elles n’étaient pas vraiment accoutumées. Je
    m’aventurais jusqu’à leur flanc, pour découvrir une peau frissonnante sous
    l’effet de ma main bienveillante.



    Depuis ces moments intimes je
    n’eus plus de cesse qu’elles me murmurassent à l’oreille. C’est là que je
    compris le titre du livre : « l’homme qui murmurait à l’oreille
    des chevaux ».



    En fait, ce n’est pas tant
    l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux qu’un échange complaisant de
    chacune des parties. Il est vrai que tout se passe à l’oreille, même si aucun
    son n’est prononcé de part et d’autre.



    Je n’aurai dorénavant plus peur
    des chevaux. Les chevaux n’auront plus à me redouter.



    …la superbe jument pi avait
    disparu, il ne restait plus que la jument blanche, enfin si l’on peut dire
    puisque sa robe n’était jamais nettoyée.



    Elle devait se sentir bien seule
    la pauvre. Je m’efforçai de lui rendre visite plus souvent pour lui éviter la
    solitude. Chaque fois je procédai de la même façon, j’ouvrais le portillon qui
    ne tenait plus que par un fil électrique tordu, je posais mes genoux dans
    l’herbe, et je me couchais pour passer sous le fil, puis j’allais lui donner du
    pain et la caresser, tentant de chasser les mouches qui ne cessaient de la
    harceler, en particulier autour des yeux…



    Je dus me faire hospitaliser,
    Thierry vint me voir une fois avec son appareil photo; il me montra un
    minuscule poulain à côté de la jument. Elle avait mis bas pendant mon absence.
    Une immense émotion s’empara de moi. Comment ne pas craquer devant un bébé,
    qu’il soit humain ou animal ?



    Après mon séjour à l’hôpital, je
    pus enfin découvrir la merveille dont elle avait accouché, c’était un étalon,
    il avait une robe pi. Il suivait sa mère partout. Il la tétait. C’était
    attendrissant !



    Je les pris en photo une
    multitude de fois.



    Je tentai d’approcher le grillage
    comme je le faisais auparavant, mais le poulain avait peur et sa mère le
    rassurait. Je n’insistais pas, tendant quand même du pain dur à la mère pendant
    que le petit s’abreuvait du lait nourricier.



    Une fois, alors que la mère
    grignotait le pain, le poulain s’aventura à respirer ma main, puis il avança
    ses grosses lèvres et mordit dedans. Alors j’en profitai pour approcher l’autre
    main de sa crinière soyeuse. Il ne
    montra nulle crainte, alors je décidai d’aventurer ma main encore plus loin,
    encore plus doucement, il se laissa faire. Je leur rendais visite
    quotidiennement jusqu’au jour où je ne les ai plus vus, car terrassée par un
    terrible accident, j’avais perdu momentanément l’usage d’une de mes jambes. Je
    fus hospitalisée puis immobilisée sur un fauteuil, le fauteuil de la honte,
    celui qui vous rappelle à chaque instant que vous ne pouvez pas remuer ne
    serait-ce que la main sans déclencher tout un chapelet de douleurs dans la
    jambe. Quant au moral, fixé par le destin au dossier de ce fauteuil, il tombait
    inéluctablement au rythme des mouvements que je ne pouvais plus faire :
    plus marcher, plus bouger le corps au risque de m’irradier toute mon enveloppe
    corporelle qui devenait mon tortionnaire.



    Pendant ce temps, mes compagnons
    continuaient quotidiennement de s’approcher du grillage, je les apercevais
    quand je parvenais à faire rouler mon fauteuil jusque sur la terrasse. Je
    pleurais car je ne pouvais les caresser, une quinzaine de marches nous
    séparant. Malgré tout, leur présence fidèle me réchauffait le cœur.



    Pendant plus de deux mois j’ai été
    confinée dans ma maison sans pouvoir sortir sans aide à cause de ces quinze marches à descendre et à remonter.
    Plâtrée, puis immobilisée sous attelle, ma jambe ne pouvait que se laisser
    balancer en l’air au gré des cannes anglaises ou du fauteuil. Impossible
    d’aller dire bonjour à mes voisins.



    Un après-midi, je m’étais
    réveillée d’un sommeil profond accentué par une douleur intense à la jambe, et
    j’ai entendu mon chien aboyer comme un
    malade vers le pré, je savais qu’ils étaient là à m’attendre. Cette fois-là, libérée
    de l’attelle mais souffrant abondamment, j’ai décidé de descendre les marches
    dégelées en me cramponnant d’une main à la rampe et de l’autre à la canne, je
    suis descendue en chaussons dans la boue,…ils étaient là immobiles, les yeux
    rivés sur moi, pendant que mon chien s’excitait sur eux.



    Lorsque je suis parvenue au
    grillage, j’ai incliné mon corps pour pouvoir caresser leur museau et ils m’ont
    parlé doucement, délicatement, m’encourageant.



    J’ai alors sorti de ma poche deux gros morceaux de pain dur et
    ai tendu un morceau à la mère, j’ai vu que le poulain tétait sa mère, c’était
    merveilleux, grandiose. Quand il a été repu du lait maternel, il s’est avancé
    vers moi et a croqué le morceau de pain que je lui ai tendu.



    Ils ne m’avaient jamais oubliée malgré mes longues semaines
    d’absence.



    Ils ont touché mon cœur et mon corps tuméfié, je ne les avais
    jamais laissé tomber, eux non plus.









    Le pré à
    côté de chez moi



    Il était jadis peuplé
    d’eucalyptus et plein de broussailles. Les eucalyptus, c’est joli et en
    plus ça sent bon ; je les regardais de loin, de haut ; les eucalyptus
    peuvent atteindre des dizaines de mètres ; je m’imaginais des tribus entières
    de koalas amassés dans les branches et je humais l’air, pensant pouvoir sentir l’effluve
    frais et délicieux délivré par leur essence.



    Je
    m’émerveilllais de la splendeur de ce
    ces arbres qui ployaient sous les assauts des vents ; ici c’est le vent
    d’autan qui souffle, un vent qui vient du sud et qui a la réputation de rendre
    fou, mais j’étais désespérée par le manque d’attention prodiguée à leur
    environnement.



    Les ronces
    faisaient concurrence aux buissons épineux; le chaos peuplait ce champ non
    cultivé. Les arbres n’étaient pas taillés, ils ne s’en portaient pas plus mal
    d’ailleurs, j’aimais le charme exotique de cette verdure plaisante.



    Un jour, en
    rentrant de vacances, nous avons retrouvé cet immense pré complètement calciné,
    les arbres noircis, l’herbe totalement brûlée, un véritable spectacle de
    désolation ; les flammes s’étaient arrêtées à quelques mètres de notre
    maison, laissant prévoir un désastre rétrospectif évité de justesse.



    Il ne restait plus que quelques
    arbrisseaux épais qui avaient échappé au désastre. Trois casernes de pompiers
    avaient été dépêchées, ce qui en disait long sur la dangerosité de l’événement.
    Les flammes atteignaient vingt mètres de haut, avait-on lu plus tard dans le
    journal.



    Les eucalyptus avaient
    pratiquement tous brûlé mis à part une dizaine de spécimens, mais les
    broussailles, elles, étaient restées, toujours aussi vivantes et épineuses.



    Le soleil
    frappait fort à cette période de l’année, c’était manifestement dangereux, je
    guettais alors la moindre étincelle, le moindre scintillement qui aurait pu
    marquer le démarrage d’une nouvelle catastrophe incendiaire.



    J’avais
    peur de quitter la maison ;je revenais bien vite pour m’assurer que la maison
    était toujours en place. La cuve à mazout est située de ce côté de l’habitation
    ce qui m’incitait à être prudente.



    Ce pré ne présentait plus
    d’attrait à mes yeux, je m’en désintéressai autant qu’il m’avait fait rêver
    autrefois.



    Autour de moi, des maisons, du
    grillage et des ronces, même plus une fleur, toutes piétinées par les assauts
    du feu.



    J’en pleurais d’amertume et de frustration. Là où
    jadis mon imaginaire gambadait me faisant croire que je me trouvais en
    Australie, la dévastation l’avait emporté laissant mon esprit en détresse et à
    la dérive.



    Ce pré demeura comme ça, dénué de
    vie et d’intérêt pendant des années. Je ne le regardais même plus.



    Un jour, j’aperçus une tache marron
    qui se déplaçait au milieu. Vu que
    l’herbe était haute et l’étendue vaste, il m’était impossible de distinguer
    exactement ce que c’était.



    Je m’approchai alors du grillage
    rouillé qui jouxtait la maison, et cette tache devint plus distincte alors
    qu’elle se mouvait dans diverses directions.



    Je fus intriguée, et essayai de
    mieux entrevoir, alors j’aperçus une seconde tache blanche qui s’approchait de
    la première.



    « Tiens, des
    vaches ? » pensai-je immédiatement.



    Comme nous avons un portillon qui
    donne sur ce pré, puisqu’une longe de terre de l’autre côté du grillage nous
    appartient, je l’ouvris et progressai délicatement à travers les hautes herbes,
    enjambant les ronces et les rocailles. Alors que je m’acheminai, les taches se
    précisèrent,…c’était des chevaux !



    Deux
    superbes chevaux, un de trait et l’autre aux jambes fines. Le cheval de trait
    était paré d’une robe blanche peu entretenue et celui aux jambes fines avait
    une robe pi brun foncé. J’avais toujours eu peur des chevaux, allez savoir
    pourquoi.



    La
    splendeur de leur âme m’attira vers eux, ils en firent de même. De nulle part apparut
    le fils du berger qui m’éructa un flot de paroles que je compris comme
    m’interdisant de les approcher.



    Allons
    bon ! Qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? C’est vrai, il ne m’adresse
    la parole que pour me demander de l’aide, emmener son chien chez le vétérinaire
    ou pour grommeler on ne sait quoi. A se demander s’il sait parler.



    Il tenta dans son sabir de me
    faire comprendre : « pas touche, elles sont à moi ! »



    Je
    n’avais pas l’intention de leur faire du mal, bien au contraire. Ah bon, ce
    sont des femelles ?



    Sur ce, je tournai les talons et
    retournai chez moi par le même portillon qui m’avait servi à transgresser la
    règle.



    Quand il
    eut disparu, je décidai de repasser le portillon, elles avaient compris que je
    ne voulais que les regarder. Elles décidèrent de me rejoindre, j’en fus étonnée
    car je n’avais aucune habitude de ces animaux, je ne savais comment m’y
    prendre. Je commençai à claquer ma langue dans ma bouche comme je l’avais vu si
    souvent faire par mes enfants lorsqu’ils montaient des poneys.



    Elles
    tendirent les oreilles avantageusement et progressèrent de plus en plus dans ma
    direction sans empressement, sans peur non plus.



    Je ne
    remuai pas le moins du monde pour ne pas les effrayer. Cela sembla fonctionner
    puisqu’elles parvinrent jusqu’à moi. Quant elles furent à quelques mètres de
    moi, je tendis la main sans précipitation pour qu’elles me sentent et adoptent
    toute liberté à mon égard. Ma fille m’avait expliqué qu’il fallait toujours
    tendre la main pour que les chevaux puissent respirer notre odeur avant de
    tenter autre chose.



    Elles
    respirèrent ma main ensemble, et tentèrent de saisir une hypothétique
    nourriture avec leurs grosses lèvres, découvrant des dents énormes qui
    m’auraient fait fuir auparavant. Je commençai à monter délicatement ma main sur
    leur museau pour les caresser, elles ne cessèrent de lever le museau pour
    essayer de happer de quoi manger.



    Alors je repassai le portillon et
    revins avec des morceaux de pain dur.



    Je procédai comme précédemment,
    j’avançai délicatement ma main droite, les laissai me sentir, puis leur
    présentai leur gourmandise. De nouveau, leurs grosses babines m’impressionnèrent,
    je sentis un chatouillement à l’intérieur de la main. Ça me fit rigoler.



    Elles étaient belles mais mal
    entretenues comme le pré dans lequel elles paissaient. Leur poil n’était jamais
    brossé et les mouches s’en donnaient à cœur joie autour de leur corps torturé
    par les piqûres des mouches plates. Magali m’avait expliqué que les mouches
    plates piquaient les chevaux en les martyrisant, mais qu’on pouvait les enduire
    d’un répulsif qui écartait les insectes.



    Ceci dit, cela ne semblait pas
    être une préoccupation du maître, qui cette fois-ci encore fit une apparition
    fulgurante mais tacite. En effet, je suis peu impressionnable, ce genre
    d’attitude n’a aucun impact sur moi.



    Il dut s’en rendre compte car dès
    le lendemain il était en train de poser du fil électrique autour du grillage,
    je m’en inquiétai, alors il me hurla qu’il posait les fils pour ne pas qu’elles
    endommagent mon grillage qui était bien rouillé et n’avait pas attendu la
    présence de ces charmantes bêtes pour s’effondrer. Il était clair qu’il voulait
    m’empêcher de les approcher. Pour quelle raison ? Peut-on trouver une
    raison à la bêtise ?



    Le
    lendemain, mon fils, qui pratiquait le poney lui aussi, leur donna du pain dur,
    le personnage en question passant près de là comme par hasard l’incendia.



    Il revint quelques heures plus
    tard pour s’excuser, mais je compris le pourquoi du comment quelques jours
    après quand je le vis tenter de s’approcher de ses bêtes en beuglant alors
    qu’elles s’en éloignaient.



    En fait, lui qui était le
    propriétaire ne savait pas s’en approcher, et il était jaloux que l’on pût y
    parvenir.



    Pourtant, autant mon fils était
    habitué aux équidés, autant je ne l’étais pas et n’étais guère familiarisée
    avec l’approche qu’il fallait avoir avec ces êtres qui à mon avis étaient dotés
    d’une intelligence supérieure.



    Je ne sais pas comment ni
    pourquoi je les attirais, sans doute mon amour et mon respect inconditionnels
    des animaux.



    Il aurait dû être content que ses
    voisins s’en satisfassent et s’entendissent si bien avec ce qu’ils auraient pu
    considérer comme des intrus à côté de chez eux.



    Les juments passaient tout leur
    temps près du grillage car il y avait de l’ombre sous un arbrisseau, c’est du
    moins l’explication que je me donnais. Alors je les approchais comme je
    pouvais, entravée pour sûr par ce fil électrique malvenu, qui les empêchait
    autant de me parler que moi de communiquer avec elles. Alors je décidai de les
    rejoindre en me glissant sous le fil électrique.



    Non, je n’avais pas peur d’être
    électrocutée, de plus j’estimais que le jeu en valait la chandelle, alors que faire
    du 12 volts dans le dos quand je pouvais caresser tendrement ces êtres venus
    d’ailleurs ?



    Je regardais avant chacune de ces
    entreprises si le propriétaire n’était pas là, plus pour ne pas qu’il se venge
    sur elles que par une réelle emprise qu’il aurait pu avoir sur mes émotions. Je
    roulais dans l’herbe, salissant à chaque fois mes habits et elles approchaient
    immédiatement, alors je me méfiais des sabots que je savais redoutables, et
    bondissais systématiquement devant elles pour échapper à une éventuelle ruade.



    D’une main, je leur distribuais
    la friandise tant attendue, tandis que de l’autre je leur caressais les
    museaux, geste affectueux auquel elles n’étaient pas vraiment accoutumées. Je
    m’aventurais jusqu’à leur flanc, pour découvrir une peau frissonnante sous
    l’effet de ma main bienveillante.



    Depuis ces moments intimes je
    n’eus plus de cesse qu’elles me murmurassent à l’oreille. C’est là que je
    compris le titre du livre : « l’homme qui murmurait à l’oreille
    des chevaux ».



    En fait, ce n’est pas tant
    l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux qu’un échange complaisant de
    chacune des parties. Il est vrai que tout se passe à l’oreille, même si aucun
    son n’est prononcé de part et d’autre.



    Je n’aurai dorénavant plus peur
    des chevaux. Les chevaux n’auront plus à me redouter.



    …la superbe jument pi avait
    disparu, il ne restait plus que la jument blanche, enfin si l’on peut dire
    puisque sa robe n’était jamais nettoyée.



    Elle devait se sentir bien seule
    la pauvre. Je m’efforçai de lui rendre visite plus souvent pour lui éviter la
    solitude. Chaque fois je procédai de la même façon, j’ouvrais le portillon qui
    ne tenait plus que par un fil électrique tordu, je posais mes genoux dans
    l’herbe, et je me couchais pour passer sous le fil, puis j’allais lui donner du
    pain et la caresser, tentant de chasser les mouches qui ne cessaient de la
    harceler, en particulier autour des yeux…



    Je dus me faire hospitaliser,
    Thierry vint me voir une fois avec son appareil photo; il me montra un
    minuscule poulain à côté de la jument. Elle avait mis bas pendant mon absence.
    Une immense émotion s’empara de moi. Comment ne pas craquer devant un bébé,
    qu’il soit humain ou animal ?



    Après mon séjour à l’hôpital, je
    pus enfin découvrir la merveille dont elle avait accouché, c’était un étalon,
    il avait une robe pi. Il suivait sa mère partout. Il la tétait. C’était
    attendrissant !



    Je les pris en photo une
    multitude de fois.



    Je tentai d’approcher le grillage
    comme je le faisais auparavant, mais le poulain avait peur et sa mère le
    rassurait. Je n’insistais pas, tendant quand même du pain dur à la mère pendant
    que le petit s’abreuvait du lait nourricier.



    Une fois, alors que la mère
    grignotait le pain, le poulain s’aventura à respirer ma main, puis il avança
    ses grosses lèvres et mordit dedans. Alors j’en profitai pour approcher l’autre
    main de sa crinière soyeuse. Il ne
    montra nulle crainte, alors je décidai d’aventurer ma main encore plus loin,
    encore plus doucement, il se laissa faire. Je leur rendais visite
    quotidiennement jusqu’au jour où je ne les ai plus vus, car terrassée par un
    terrible accident, j’avais perdu momentanément l’usage d’une de mes jambes. Je
    fus hospitalisée puis immobilisée sur un fauteuil, le fauteuil de la honte,
    celui qui vous rappelle à chaque instant que vous ne pouvez pas remuer ne
    serait-ce que la main sans déclencher tout un chapelet de douleurs dans la
    jambe. Quant au moral, fixé par le destin au dossier de ce fauteuil, il tombait
    inéluctablement au rythme des mouvements que je ne pouvais plus faire :
    plus marcher, plus bouger le corps au risque de m’irradier toute mon enveloppe
    corporelle qui devenait mon tortionnaire.



    Pendant ce temps, mes compagnons
    continuaient quotidiennement de s’approcher du grillage, je les apercevais
    quand je parvenais à faire rouler mon fauteuil jusque sur la terrasse. Je
    pleurais car je ne pouvais les caresser, une quinzaine de marches nous
    séparant. Malgré tout, leur présence fidèle me réchauffait le cœur.



    Pendant plus de deux mois j’ai été
    confinée dans ma maison sans pouvoir sortir sans aide à cause de ces quinze marches à descendre et à remonter.
    Plâtrée, puis immobilisée sous attelle, ma jambe ne pouvait que se laisser
    balancer en l’air au gré des cannes anglaises ou du fauteuil. Impossible
    d’aller dire bonjour à mes voisins.



    Un après-midi, je m’étais
    réveillée d’un sommeil profond accentué par une douleur intense à la jambe, et
    j’ai entendu mon chien aboyer comme un
    malade vers le pré, je savais qu’ils étaient là à m’attendre. Cette fois-là, libérée
    de l’attelle mais souffrant abondamment, j’ai décidé de descendre les marches
    dégelées en me cramponnant d’une main à la rampe et de l’autre à la canne, je
    suis descendue en chaussons dans la boue,…ils étaient là immobiles, les yeux
    rivés sur moi, pendant que mon chien s’excitait sur eux.



    Lorsque je suis parvenue au
    grillage, j’ai incliné mon corps pour pouvoir caresser leur museau et ils m’ont
    parlé doucement, délicatement, m’encourageant.



    J’ai alors sorti de ma poche deux gros morceaux de pain dur et
    ai tendu un morceau à la mère, j’ai vu que le poulain tétait sa mère, c’était
    merveilleux, grandiose. Quand il a été repu du lait maternel, il s’est avancé
    vers moi et a croqué le morceau de pain que je lui ai tendu.



    Ils ne m’avaient jamais oubliée malgré mes longues semaines
    d’absence.



    Ils ont touché mon cœur et mon corps tuméfié, je ne les avais
    jamais laissé tomber, eux non plus.












    [img]Le pré à côté de chez moi 25110[/img]

      La date/heure actuelle est Dim 19 Mai - 21:28